Rédigé par Raphaëlle Saint-Pierre | Publié le 06/11/2013
La proche banlieue de Paris offre encore quelques emplacements où des créateurs peuvent développer leur imagination sans être bridés par les mètres carrés, comme à l’intérieur de la capitale. En 2007, Jean-Baptiste et Marion découvrent dans une rue tranquille un ensemble de trois hangars mitoyens, entourés de petits immeubles et de dépôts. Avec deux couples d’amis, ils acquièrent le tout au printemps 2008 et le divisent ensuite en trois, afin de transformer en logements un atelier de fabrication de machines à sous.
Du public au privé
Avec ses neuf mètres de haut et sa centaine de mètres carrés au sol, l’endroit se prête à l’aventure. L’architecte esquisse « un volume qui vient chercher la lumière zénithale, un peu comme une poche » et qui permet de profiter de la vue dégagée vers l’arrière. Son idée directrice consiste à jouer sur le contraste entre trois niveaux aux propriétés totalement différentes. Ainsi, au fur et à mesure que l’on monte, l’espace, habillé de mobilier intégré en bois, est de plus en plus resserré sur ses occupants. Le rez-de-chaussée, laissé très brut et ouvert, presque sans aucun aménagement, est quasi public. Aujourd’hui, le couple l’utilise comme entrepôt et atelier pour travailler à des prototypes d’architecture ou aux projets de leur association Point de rassemblement (préfabrication de mobiliers, etc.). À l’entrée, la zone plus basse de plafond, surmontée des étages d’habitation, sert de lieu de réunion à Marion, urbaniste et développeur culturel. La réinstallation, côté rue, d’une haute et large porte métallique laissant passer motos, matériaux ou maquettes imposantes, conserve l’esprit d’origine. Mais dépourvu de chauffage, ce niveau reste impraticable en hiver. Un poêle y sera installé dès que possible. Choisissant de ne construire qu’à peine 60 mètres carrés sur deux étages, l’architecte conserve une marge de manœuvre, afin de garder la possibilité d’agencer de nouveaux espaces de vie en bas, dans une reconfiguration plus familiale, et même, de dégager une partie de la toiture pour ménager un jardin contre le mur arrière.
Coque de bateau
« J’avais en tête l’idée du nid, de la coque de bateau et l’envie de répondre aux pans de toiture de l’atelier », explique l’architecte. La structure principale des deux niveaux créés est montée en acier, puis une ossature en bois prend le relais. Le pan incliné qu’il dessine donne de l’air et permet une double orientation. Le premier étage, destiné au séjour et à la cuisine ouverte, comporte un minimum d’éléments pour organiser l’espace. L’esprit du cocon se prolonge à l’extérieur avec la terrasse lovée dans le toit qui offre une réplique à la pente du salon. Partiellement couverte, avec son banc de bois appuyé contre la coque, elle joue le rôle d’une pièce supplémentaire dans laquelle les habitants sont protégés des regards et du vide. Le dernier niveau, plus intime, plus « tenu », est structuré par le mobilier intégré en panneaux d’OSB qui forment aussi le sol. La chambre du couple, traitée en simple alcôve, rappelle les couchettes de bateau. Le bureau de Marion, muni d’un grand plan de travail qui s’étend face à une baie vitrée, sert aussi de chambre d’amis. Ici, le rez-de-chaussée se fait complètement oublier, hormis quelques petites vues plongeantes.
Simple et sain
Le gros-œuvre et la structure métallique sont réalisés en trois mois par des entreprises, puis le couple lance son chantier d’autoconstruction, entrecoupé de quelques interventions d’artisans. Au tout début, un ami charpentier passe quelques jours sur place pour leur apprendre plusieurs techniques. Ils effectuent ainsi eux-mêmes les solivages, les planchers, l’ossature bois, la chape en béton de l'étage, la terrasse, les menuiseries intérieures, le carrelage, la peinture, l’électricité et une partie de la plomberie. « Après c'est une combinaison entre un bagage théorique lié à la pratique de mon activité et des recherches, de la documentation technique, des conseils divers. Le tout saupoudré d'une bonne dose d'empirisme », conclut Jean-Baptiste. L’architecte sélectionne ensuite des isolants écologiques. Sous le volume construit et en remplissage de cloison, il utilise du liège brut foncé. Pour la toiture, il choisit des rouleaux de Métisse®. Le matériau, doux à poser, provient du recyclage de vêtements en coton collectés par Le Relais mais non directement exploitables. Cette entreprise solidaire qui fonctionne à partir de dons de textiles, crée des emplois pour des personnes en situation d’exclusion*. Des panneaux de lamelles de bois servent de revêtement. « J’aime la qualité plastique de l’OSB, le fait qu’il soit simple à poser et pas cher », remarque Jean-Baptiste. En revanche, l’essai n’est pas concluant en bardage extérieur sur les parties non couvertes de la terrasse, ce dont l’architecte se doutait. Dans le salon, le couple enduit à la chaux la pente en liège avec les conseils d’un ami, car il faut avoir le coup de main pour parvenir à recouvrir un mur en une seule fois. Une pompe à chaleur avec plancher chauffant, uniquement au premier étage, suffit pour chauffer les deux niveaux.
Avec son traitement plutôt brutaliste, à l’opposé d’un luxe ostentatoire, Jean-Baptiste Fourmont prouve ici que l’esprit de l’usine recomposée correspond parfaitement à une démarche écologique, à la fois dans l’aspect réutilisation de bâtiments devenus obsolètes que dans une libre recherche de matériaux. Un retour aux origines du loft, tel qu’on l’imaginait dans les années 1970.