Après avoir vécu une dizaine d’années à Londres, Claire et Xavier décident de revenir sur leur terre aquitaine avec leurs enfants. Le quartier des Chartrons à Bordeaux, central et animé, est choisi au détriment d’autres, jugés « trop homogènes sociologiquement parlant ». Site historique de stockage et de commerce du vin aux XVIIIe et XIXe siècles, un urbanisme vinicole caractéristique s’y est développé. Les chais s’étirent en lanières, perpendiculairement à la Garonne sur parfois plus de cent mètres. Une façade noble sur les quais affiche la puissance du commerçant ; un entrepôt fonctionnel où les barriques sont entreposées prend place à l’arrière. En pierre calcaire, le volume est opaque pour maintenir l’inertie thermique. Lorsque l’activité portuaire périclite, les Chartrons deviennent une friche, très prisée par les promoteurs immobiliers et les amateurs de reconversion en quête de lofts.
Du chai à la salle de sport
Le chai, dont font l’acquisition Claire et Xavier en 2006, sert de salle de sport depuis quelques années. Les murs, la charpente et la toiture en tuiles canal d’origine ont été conservés. Si cloisons, sanitaires et ouvertures sur rue ont été créés, tout reste à faire pour rendre ce lieu habitable par une famille. Sans se presser, les nouveaux propriétaires réfléchissent au programme et partent en quête de leur architecte. Un bureau pour Xavier en vue d’exercer un jour à domicile, cinq chambres, un studio pour une jeune fille au pair et une salle de cinéma constituent l’essentiel de leur demande. Après avoir consulté quatre agences locales et organisé une consultation sur esquisse, Steve Le Bris et Frédérique Rol sont retenus sur le principe de « boîtes dans la boîte ». Ces derniers reconnaissent qu’une fois leur confiance accordée, les propriétaires n’ont cessé de leur laisser « carte blanche ». Une occasion formidable de « mener sereinement un chantier complexe ». Vidé, mis au propre, ses murs piquetés – opération effectuée au burin visant à enlever les parties abîmées de la paroi et de l’assainir –, pour retrouver, sous l’enduit et le doublage, la matière naturelle de la pierre, le chai offre de généreuses dimensions : 58 mètres de long, 7 à 9 mètres de large et 8 mètres de haut au faîtage.
Des boîtes dans la boîte
Côté rue, de nouvelles fenêtres sont ouvertes et un patio jardiné est découpé dans le volume en guise d’espace extérieur privatif. Il permet d’amener la lumière jusqu’en partie centrale de l’habitation. De part et d’autre, la maison est organisée en deux blocs : à l’ouest, le garage et le bureau ; à l’est, toute la partie privative pour la vie familiale. À la base immense, le chai appelle désormais des proportions plus domestiques, un autre rapport d’échelle. Les architectes y parviennent en introduisant quatre boîtes dans cette boîte démesurée. Desservies par une coursive éclairée par un bandeau de toit vitré, elles abritent la suite parentale, les chambres des enfants, le studio et leurs sanitaires respectifs ainsi qu’une buanderie. Positionnées à l’étage, glissées au plus juste au-dessus des vieilles poutres du plancher et sous la charpente d’origine, elles bénéficient soit de lumière zénithale, soit d’un éclairage en second jour par des découpes ouvrant sur l’intérieur de la maison, ou encore de fenêtres côté rue. Grâce à ce système d’alvéoles séparées par des vides, se greffant sur l’enveloppe d’origine, la frôlant ou s’en distançant, la perception volumétrique originelle est conservée. Bien plus que si un étage fermé avait été privilégié, option qui aurait certes permis d’obtenir plus de mètres carrés, mais qui aurait altéré l’esprit initial des lieux.
Authentique plutôt qu’aseptisé
Une fois le principe d’aménagement déterminé, l’ambiance intérieure reste à définir. Claire et Xavier ne veulent pas d’un espace blanc, dépouillé, aseptisé, telle une image figée de papier glacé. Pour accueillir la convivialité de leur vie de famille, et en mémoire de l’histoire du chai, ils préfèrent un caractère authentique. Les matériaux introduits sont donc bruts : de la brique pleine dans l’entrée, un meuble en tôle pliée le long de la pièce à vivre, un sol en mortier, une serrurerie en acier noir, un escalier en pierre de Frontenac1, une cuisine en chêne massif ou encore des boîtes revêtues de pin non traité. Pour autant, on ne se prive pas du confort et de la haute technologie propre à notre époque. La maison est pilotée par domotique, chauffée, éclairée, mise en musique par ordinateur. Complexe, le chantier a été mené par des entreprises qui avaient « l’intelligence du projet », selon les architectes. Toute la « tripaille » – gaines, câbles et canalisations diverses – passe ainsi inaperçue. Un pari qui n’est jamais gagné d’avance dans un volume pré-existant donc contraignant. Les avantages sont pourtant nombreux à recycler des espaces délaissés de cette nature : être au cœur de la ville et pourtant au calme, voir les toits de Bordeaux, percevoir la vie collective tout en conservant son intimité, etc. Au final, l’architecture proposée par Steve Le Bris et Frédérique Rol est un juste milieu : ni sophistiquée, ni rustique. Le souci du détail, le dessin précis, la mise en œuvre soignée de certaines matières jouent la carte de la contemporanéité. Ailleurs, la rugosité de certaines textures renvoie à l’archaïque, à l’industriel. Un paysage intérieur est inventé, à la fois ancré dans le passé bordelais et dans l’univers personnel des propriétaires. Les reconversions réussies jouent souvent sur les contrastes. Les architectes remportent ici le défi pour le plus grand plaisir des habitants…
1. Pierre historique des carrières de la rive droite de la Garonne.