On aurait pu croire que mobilité et flexibilité seraient les ultimes attributs de la modernité, mais l’instabilité semble en devenir le nouvel apanage. La connotation péjorative n’est pas anodine, elle rappelle la dimension fragile et précaire du monde tel que nous l’avons connu jusqu’à maintenant. Et quand l’architecte Carlos Arroyo, qualifie la maison TSM3 d’« instable », c’est toute une dynamique de l’espace qu’il met en avant : les usages sont multiples, s’adaptant aux besoins des habitants. Le projet consiste en la réhabilitation et la surélévation d’une maison madrilène d’un étage datant du XVIIIe siècle, située en plein centre historique de la ville. Un bien rare dans ce tissu urbain dense, voir compact, dont la trame est surtout composée d’immeubles de plusieurs niveaux.
Une maison-tour
Les propriétaires souhaitaient que cette habitation soit à la fois leur lieu de vie mais un aussi un showroom pour l’exposition de luminaires. Si bien que « certains soirs, elle devient une sorte de bureau nocturne », s’amuse l’architecte. Autre requête particulière : « Tirer parti au mieux de l’espace donné avec un budget réduit, tout en laissant un maximum d’options ouvertes pour un futur imprévisible. » Le ton est donné. Inhabitée depuis les années 1990, ouverte à tous les vents et à la pluie, la maison, qui avait subi de lourds dommages, fut ensuite murée pour éviter de nouveaux actes de vandalisme en plus d’un éventuel écroulement. Carlos Arroyo n’a pu en conserver que le mur épais sur rue, lui assurant cependant une bonne inertie thermique. Soumise à une réglementation précise, la façade doit recevoir un parement imitant la pierre : l’architecte s’en sort avec un tour de passe-passe visuel et réduit l’épaisseur des plaques au maximum avec l’utilisation d’un stuc d’1,5 milimètre posé sur du polystyrène expansé. Cela suffit pour donner l’illusion à moindre coût. Les propriétaires précédents avaient déjà obtenu l’autorisation de surélever le bâtiment de deux niveaux, plus un attique, sur une hauteur atteignant le niveau moyen des deux mitoyens.
Une palette réduite
Structurellement, les murs existants ne peuvent rien supporter, c’est pourquoi un squelette métallique vient se glisser entre eux et s’élève depuis la cave sur six niveaux. Petite particularité, comme la coupe le fait apparaître, la moitié du rez-de-chaussée fait partie de la maison mais les propriétaires n’en ont pas la jouissance. C’est le couvent voisin qui, depuis 1931, profite de ce lieu. En conséquence, la nouvelle structure ne repose pas dessus et tient grâce à un système de tirants répondant à la répartition des charges. Pour le moment, le budget étant restreint, l’impressionant squelette est simplement peint d’un antirouille bleu ciel, une couleur typique à Madrid. Les croix de Saint-André sont également conservées apparentes et même lorsqu’elles servent de support de cloisons, elles ne sont pas dissimulées pour autant.
Urbaine et environnementale
Trait caractéristique des villes du sud : on se protège des chaleurs estivales excessives en générant de l’ombre. Mais il n’empêche que le besoin de lumière naturelle demeure. Comment donc, à l’heure des économies d’énergie, parvenir toutefois à créer des espaces intérieurs lumineux dans ce qui pourrait ressembler à un long boyau sombre de six niveaux ? En jouant le jeu de la transparence et des vides : les vitrages apportent une solution sur la façade créée, la trémie centrale n’est occultée par aucune paroi, composant ainsi un puits de lumière. Et quand l’ascenseur prévu sera installé, il sera vitré tout comme les planchers des paliers réduits aux étroits interstices placés dans la trémie centrale. La dimension environnementale de ce projet urbain de petite échelle, coincé entre deux mitoyens, s’affirme avec des choix tels que le recyclage des eaux grises et la production d’eau chaude solaire. Un système installé dans la cave permet de réemployer celle utilisée par les salles de bains et la cuisine. Après traitement, elle sert pour les toilettes, le lave-linge, l’arrosage ou le nettoyage de la maison. La sphère solaire offre quant à elle l’avantage de produire une eau chaude en continu, puisque les capteurs sont répartis sur une boule et donc exposés plus longuement. Un procédé qui reste peu développé sur le marché du solaire malgré son intérêt évident. Et pour assurer le rafraîchissement estival, un bassin dessiné par les plis du plancher du dernier niveau forme un salon où la décontraction très seventies s’invite : on y discute installé en se trempant les pieds !
Work in progress
Le projet s’inscrit dans une temporalité qui va au-delà de la livraison. L’architecte a pensé un nombre d’options et de possibilités qui seront peut-être un jour mises en œuvre… dans un futur incertain : parois de verre pour isoler les pièces sans les obscurcir, sol différents pour chacune d’entre elles. Il est vrai que pour le moment, le métal des planchers est sonore, mais une réserve de 2,5 centimètres d’épaisseur a été ménagée côté façade vitrée pour y loger une isolation phonique, un parquet et même une moquette. Carlos Arroyo « aimerait qu’ultérieurement, chaque sol ait un toucher différent : l’un de bois, l’autre moelleux… » Pour l’instant, les habitants doivent définir les usages de chaque espace et adapteront en conséquence les revêtements. Dans le même esprit, tous les réseaux sont centralisés dans l’espace de la trémie. Les salles d’eau peuvent ainsi déménager d’un étage à un autre sans revoir tout le système. Voici donc une maison qui, selon son architecte, ne sera jamais terminée, sans laisser à ce stade un goût d’inachevé. Ce parti pris n’est pas sans rappeler celui de Renzo Piano et Richard Rogers pour le Centre Pompidou… et le choix d’un bleu ciel non plus !