Rédigé par Raphaëlle Saint-Pierre | Publié le 19/01/2018
Depuis la création de leur agence à Paris en 2006, la Bulgare Milena Karanesheva et l'Autrichien Mischa Witzmann se sont consacrés à plusieurs projets d'habitation dans les Yvelines, dont la première maison certifiée passive en France*. En 2013, Stan et Priscilla, qui souhaitent faire de leur future résidence familiale une construction écologique, les contactent après avoir acquis un étroit terrain de 300 mètres carrés à Marly-le-Roi. Pour compliquer un peu plus la conception, celui-ci n'est pas soumis aux mêmes règles d'urbanisme de part et d'autre de la parcelle.
EN LÉVITATION
À l'ouest et au nord, s'appliquent celles du lotissement dans lequel elle s'insère, composé uniquement de deux maisons construites simultanément dans le jardin d'une troisième plus ancienne. Au sud et à l'est, le plan local d'urbanisme (PLU) de la ville prend le relai. Heureusement, l'architecture contemporaine et le bois sont les bienvenus dans la commune. Malgré le quartier résidentiel, pas question pour le couple et ses deux enfants de se retrancher derrière une haie de thuyas ! Les architectes dressent donc fièrement la maison à seulement 4 mètres de la rue, de l'autre côté de laquelle un vaste parc offre une perspective dégagée. Surélevée de 50 centimètres par rapport au terrain, elle libère une continuité visuelle d'un bout à l'autre du jardin à travers le vide créé à l'emplacement du garage. « Cette disposition répond aussi au désir de la famille de ne pas bloquer complètement la vue des voisins situés à l'arrière », précise Milena Karanesheva. Dans la même idée, la clôture en acier galvanisé perforé, qui court le long du trottoir, laisse traverser le regard des passants. Les différentes réglementations confèrent au volume de cette habitation de 145 mètres carrés une forme asymétrique, notamment dans le dessin des pentes de la toiture : la hauteur autorisée est plus grande à l'ouest ; au sud, la façade est pliée en deux à la verticale ; au nord, le pignon esquisse une légère inclinaison en diagonale à l'endroit des combles.
TERRASSE COUVERTE
« Nous voulions une maison pratique, pas trop grande, mais avec une véritable entrée », expose Priscilla. « C'est un espace qui a tendance à se réduire aujourd'hui alors qu'il est très important, approuve Milena Karanesheva. C'est là où l'on reçoit les gens, où on leur parle… » Les architectes décident donc de l'aménager en contrebas de la rue, face au carport et à la réserve de bois. De part et d'autre, se trouvent une chambre d'amis, sa salle de bains et la buanderie-cellier. Au-dessus, entièrement ouvert, le séjour-cuisine s'articule autour de la cheminée. Un décalage, dû à l'épaisseur de l'isolant sous la maison côté garage, surélève la salle à manger de deux marches. Dans son prolongement, une baie vitrée à triple vitrage mène à la terrasse. « Nous avons demandé qu'elle soit couverte car il pleut tout de même souvent en Île-de-France », insiste Priscilla. Au dernier étage, profitant de la belle hauteur des combles, les trois chambres et la salle de bains se répartissent autour d'un vaste dégagement qui sert aussi bien à étendre le linge qu'à jouer. Pour relier les trois niveaux, les architectes dessinent un escalier en acier livré sur le chantier d'un seul tenant. « La veille de son installation, Mischa Witzmann n'a pas dormi car il y avait une marge de manœuvre de seulement 7 millimètres !, s'amuse Milena Karanesheva. Mais les serruriers ont adoré le challenge. »
ARÊTES BIEN NETTES
Tout ce qui est en contact avec la terre - les fondations et le semi sous-sol - est en béton. Des poteaux métalliques y sont fixés, sur lesquels repose entièrement la maison en panneaux de bois lamellé-croisé KLH.
« LE KLH EST UN MATÉRIAU DURABLE, FIABLE, RAPIDEMENT MIS EN ŒUVRE ET QUI CONTRIBUE AU STOCKAGE DU DIOXYDE DE CARBONE. » Milena Karanesheva, achitecte
Préfabriqués en Autriche, les panneaux sont ensuite assemblés sur le terrain en 5 jours. En tout, il suffit de deux mois aux charpentiers des Compagnons du Devoir pour monter et habiller la maison. Le bardage en mélèze ajouré, dont l'allure est plus légère et graphique que le clin, marque les subtilités des façades par des arêtes bien nettes. Il est pré-grisé afin de conserver dans le temps une teinte uniforme, jusque sous l'auvent qui protège la terrasse. À l'intérieur, toutes les rainures nécessaires au passage de l'électricité dans les panneaux sont effectuées à l'usine. « Avec nous, les études durent souvent plus longtemps que le chantier car nous travaillons tous les détails. Mais après, tout roule ! », constatent les architectes. Les panneaux KLH ne demandent aucune finition et le bois peut rester brut mais Stan et Priscilla choisissent de passer eux-mêmes une couche de lasure.
FERMEZ LA PORTE !
« Les panneaux en bois massif ont beaucoup plus d'inertie qu'une ossature bois. Ici, la chaleur accumulée par les parois est restituée sur une demi-journée », analyse Milena Karanesheva. Les besoins en chauffage sont uniquement assurés par la cheminée à foyer fermé. Seuls deux sèche-serviettes confortent le dispositif dans les salles de bains. Le KLH assure également une bonne hygrométrie en absorbant les vapeurs. Des panneaux en fibre de bois, vissés dans la structure, assurent l'isolation extérieure et apportent eux aussi un peu d'inertie. Si bien que la consommation énergétique annuelle se limite à 20 kilowattheure par mètre carré. « Nous vivons absolument normalement dans une maison passive. Avec la VMC double flux, l'air est renouvelé trois fois par 24 heures, ce qui serait impossible d'obtenir juste en aérant ! », signale Priscilla. Après plus de deux ans d'utilisation, elle constate qu'il faut surtout être discipliné en été et baisser les stores extérieurs, spécialement à l'ouest. Et elle reconnaît qu'il lui arrive encore souvent de rappeler aux enfants de fermer la porte derrière eux lorsqu'ils sortent dans le jardin…
Article paru dans Architectures À Vivre 98 : Maisons inventives
*voir l'article « Énergie positive » dans Architectures À Vivre n°52