À Montréal, Mile Ex, de son vrai nom Marconi Alexandra - un patronyme hérité du passé manufacturier du secteur, la société Marconi étant alors le plus gros pourvoyeur d'emplois du district - est aussi surnommé… le quartier des architectes. Malgré une atmosphère pas toujours accueillante, le faible prix de l'immobilier et la disponibilité d'édifices industriels, bien situés et aux vastes surfaces, ont, depuis une dizaine d'année, attiré des créatifs de tous horizons, en quête de lieux abordables où vivre et travailler. À tel point qu'il concentre aujourd'hui le plus grand nombre de logements contemporains de la capitale du Québec ! Il y règne une atmosphère un rien berlinoise, mi destroy, mi bohème, à la sauce conviviale québécoise. C'est là qu'en 2009, Jean-Guy Chabauty, président de l'Atelier Moderno, à la recherche d'une habitation pour lui, ses deux grands fils et leur chien Winston, fait l'acquisition aux enchères d'une ancienne fabrique de fers à repasser construite dans les années 1950.
QUI PEUT LE PLUS, PEUT LE MOINS
Même s'il est à l'abandon depuis de nombreuses années, le bâtiment et sa structure sont en très bon état. Reste néanmoins à faire passer un projet de reconversion en habitation auprès de la municipalité, plutôt tatillonne, tant sur l'esthétique que les programmes. « Nous avons présenté un certain nombre de propositions à la ville, pour voir jusqu'où il était possible d'aller » , précise l'architecte. Démolition et surélévation partielles ou totales sont ainsi envisagées, mais l'Atelier Moderno opte finalement pour une préservation de l'enveloppe. Un parti pris subtil qui convainc les autorités locales. En 2012, le permis est accepté. En conséquence, le dessin et le style des façades ne peuvent être modifiés, ni de nouvelles ouvertures percées. Pour devenir une maison sans en avoir l'air, la transformation sera donc intérieure. Et les attentes sont plutôt simples : une large pièce à vivre conviviale, trois chambres, deux salles de bains et un petit bureau. Pas de création d'étage, seulement d'un accès à la toiture, qui offrira un espace extérieur végétalisé à la famille.
CARAPACE INDUSTRIELLE
« Ne pas toucher à l'enveloppe en briques, ni en modifier la structure ou les fenêtres a été un élément de conception déterminant pour l'économie du projet. Mais cette contrainte nous a également amenés à développer un plan en harmonie avec les ouvertures existantes » , explique Jean-Guy Chabauty. Le volume est simple : un large parallélépipède de 7 mètres par 24 ouvert sur trois côtés, et mitoyen avec la construction voisine plus haute. Mis à part les poteaux et les poutres métalliques, rien n'est porteur, et aucune reprise de charge n'est nécessaire. Seul le sol, en très mauvais état, nécessite d'être refait, en intégrant un chauffage radiant. Et il faut isoler le bâtiment, de façon « musclée » , dixit l'architecte. « Pour ce faire, nous avons en quelque sorte construit l'intérieur détaché de l'extérieur » , et ainsi pu projeter l'isolation entre les deux peaux. Le soya giclé, outre ses propriétés thermiques, fait aussi office de pare-vapeur et de pare-air. Une solution efficace, dans une région où l'amplitude thermique entre l'été et l'hiver peut dépasser les 60 degrés ! Le dessin du plan mise, lui, sur le bon sens. Les circulations sont rejetées sur une mince bande le long du mur aveugle, afin que rien ne fasse obstacle aux arrivées de lumière. La pièce de vie bénéficie d'une double orientation, optimisée grâce à une très légère modification de la façade d'entrée : en déportant la porte, à l'origine double et centrale, encadrée par deux ouvertures, sur le côté, à la place de l'une des anciennes fenêtres, l'architecte a pu exploiter la large percée et y installer une baie.
« De façon générale, le plus gros challenge a consisté à préserver l'esprit et la matière du bâtiment d'origine tout en créant de nouveaux espaces, épurés, confortables et contemporains. » - Jean-Guy Chabauty, architecte
L'ESPRIT DES LIEUX
« De façon générale, le plus gros challenge a consisté à préserver l'esprit et la matière du bâtiment d'origine tout en créant de nouveaux espaces épurés, confortables et contemporains » , raconte Jean-Guy Chabauty. Outre la simplicité du plan, tout le projet repose en effet sur un jeu subtil de matières, de contrastes entre le lieu et sa nouvelle affectation. Un long tube lumineux au sol le long du mur aveugle juste peint en blanc révèle les joints irréguliers des parpaings, tandis que, dans la cuisine, le plan de travail en Corian© et le mobilier sur mesure en chêne blanc massif, aux lignes assurées et régulières, contrastent, voire contredisent, l'idée du hangar. En contrepoint, le choix de murs noirs dans le salon ou la cuisine, d'éléments de mobilier en inox, comme la table de cuisson ou le plan vasque de la salle de bains, d'une dalle en béton conservée apparente, juste traitée, créent le liant qui rend l'ensemble de l'aménagement cohérent, contemporain, et juste ce qu'il faut de destroy. En harmonie avec le contexte, en somme.
⇒ Projet paru dans le Hors-série 46 : Best Of Maisons & appartements
FICHE TECHNIQUE
♦ architectes Atelier Moderno - Jean-Guy Chabauty et Chris Barrie (architecte projet : Jean-Guy Chabauty) - www.moderno.ca
♦ localisation Mile Ex, Montréal
♦ livraison 2013
♦ bâti d'origine 1950
♦ études 14 mois
♦ travaux 6 mois
♦ surface terrain 185 m²
♦ surface habitation 150 m²
♦ coût des travaux 250 000 dollars canadiens (environ 163 000 euros)
♦ matériaux brique d'origine (murs extérieurs et cloisons intérieures) / métal (structure d'origine) / bois (structure d'origine) / dalle béton avec chauffage radiant hydronique intégré (sol rez-de-chaussée) / parpaings de béton (murs intérieurs) / soya giclé (isolation) / chêne blanc massif (mobilier sur mesure et marches escalier) / toiture végétalisée
♦ équipements réfrigérateur Liebherr HRB 1110 / robinet Eve de chez KWC / lave-vaisselle Bosch 24 Dishwasher 800 plus series / four Viking modèle 30 / table de cuisson Viking, modèle 36 / W.-C. Toto / cheminée au bioéthanol EcoSmart / luminaires Alvar Aalto / mobilier sur mesure et vintage