Ramy Fischler est un designer belge basé à Paris, qui pratique la création de manière éclectique. Passionné de mise à distance entre l'histoire, l'espace et le mobilier, il crée sa propre agence, RF Studio, en 2011. Qu'il s'agisse de concevoir un objet artisanal, une exposition, un produit industriel ou une interface virtuelle, c'est toujours pour lui une nouvelle occasion de s'immiscer dans un territoire, de l'observer, d'épuiser le sujet et ses possibles, et d'établir une synergie collective, dont la teneur et la tournure compteront autant que le résultat final, voire plus encore. En 2018, il a été nommé designer de l'année par Maison & Objet.
Il a récemment réalisé l'aménagement de Madame Brasserie, restaurant mythique du 1er étage de la tour Eiffel.
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Votre méthodologie de conception est-elle la même quelle que soit l'échelle d'un projet ?
Il y a une manière d'analyser et d'interroger le sujet qui peut être très semblable quel que soit le projet : notre approche de designer nous amène assez naturellement à être attentifs aux usages, aux services, mais aussi aux finitions, aux processus de fabrication et aux aspects vertueux de nos réalisations. Mais dans le même temps, comme je cherche à tout prix à éviter la répétition, ou le systématisme dans le fond comme dans la forme, je laisse une certaine souplesse dans la méthode. Néanmoins, pour réussir à faire aboutir un projet quel que soit sa taille, et préserver ses idées les plus fortes, l'organisation et la maîtrise des contraintes sont la clef.
Qu'est-ce que représente le programme de la gastronomie dans votre métier de designer ?
La gastronomie, et plus largement le marché de la restauration et de l'alimentation, fait partie des secteurs qui, selon moi, ont le plus innové et évolué ces dernières années. Qu'il s'agisse de la prise de conscience sociétale du « manger sain », de la traçabilité des matières premières, du gaspillage alimentaire ou de la limitation des emballages jetables, en passant par les services de livraison ou encore de l'évolution du monde du travail qui bousculent aussi la façon d'y déjeuner… Toutes ces mutations appellent à réinventer le secteur. La gastronomie réunit les notions de plaisir, de culture, mais aussi de santé publique et de défis économiques. C'est pourquoi le design a tant à faire pour permettre aux acteurs de la gastronomie de développer de nouvelles offres plus adaptées à ces changements de paradigmes. Un restaurant n'est pas seulement un lieu où l'on mange et où l'on profite de la vue ou du décor, c'est aussi un vecteur d'idées nouvelles sur le monde qui nous entoure. Pour ses clients, il peut incarner des valeurs nouvelles et changer parfois certaines idées reçues sur la manière de se nourrir.
De plus en plus, les designers doivent s'ouvrir à des collaborations et faire preuve de savoir-faire transversaux. Comment appréhendez-vous cette problématique ?
Pour moi ce n'est pas une problématique mais une richesse inépuisable d'opportunités. Il est vrai que les projets se complexifient, avec notamment l'intégration des technologies, de la mixité des usages et bien sûr des défis soulevés par les enjeux environnementaux, qui nous amènent à mesurer chacune de nos idées, chacune de nos fabrications ou modifications en fonction de leur impact écologique. Ces nouvelles donnes augmentent aussi le nombre d'expertises autour de la table, mais bien souvent, l'acteur le plus « exotique » dans l'écosystème des grands projets, reste le designer, encore peu représenté !
Comment s'inscrit-on dans un lieu aussi iconique et historique que la tour Eiffel ?
Avec beaucoup de modestie et de lucidité sur notre intervention puisque celle-ci s'inscrit dans une durée relativement éphémère, comparé à l'histoire passée et future de l'édifice. Et en n'oubliant pas que, malgré la complexité et les complications inhérentes à tout chantier dans ce type de lieu préservé et mythifié, notre regard et nos idées doivent être in fine au service de l'émerveillement et de l'imaginaire fantastique qu'incarne la tour pour les visiteurs qui la découvre. Avec Nicola Delon d'Encore Heureux, nous nous sommes demandé d'abord ce que nous pouvions retirer avant de penser à ce qui pouvait être rajouté. Il nous semblait évident que notre projet devait rendre le restaurant plus léger et aérien qu'auparavant. Nous sommes des agences complices et complémentaires depuis longtemps. Nous partageons les mêmes valeurs et les mêmes enjeux en matière de construction durable et vertueuse, mais aussi les défis que porte notre génération lorsqu'il s'agit de défendre une vision et un discours cohérent sur le choix des matériaux durables et issus du circuit court.
Quel a été le fil rouge pour le dessin du mobilier ?
Nous avons conçu du mobilier et des luminaires originaux pour les deux étages de la brasserie. Dans le lounge, on retrouve un ensemble de fauteuils type chauffeuse, aux formes rondes et élastiques, revêtus d'un tissu velours bleu composé de laine, et conçus pour offrir une assise mi-basse pour les apéros de fin de journée, mais aussi les petits-déjeuners et dîner plus informels. Une posture d'assise plus basse qu'à l'étage brasserie, afin d'offrir une expérience plus décontractée. Des petites tables en aluminium et bois peint au plateau carré ou rond, des tabourets hauts en tissu moucheté pour le bar et des luminaires complètent ici le mobilier. Un ensemble de pièces confortables, fonctionnelles et robustes, pouvant être déplacées facilement au gré des différents usages du lieu, qui se veut modulable et festif, en connexion directe avec le bar à cocktails. Pour le restaurant à l'étage, nous avons proposé un mobilier plus recherché. Il emploie des matières naturelles (bois, cuir végétal) et affiche une palette chromatique claire et chaleureuse. Le fauteuil de la brasserie est en bois de hêtre massif, revêtu d'une peau de cuir amovible, rivetée à l'arrière du dossier. Cet habillage en origami permet, lorsqu'il est usagé, de le remplacer facilement en préservant la structure et favorise ainsi la durabilité du siège. En laissant les assemblages de bois apparents, ainsi que le dos du cuir brut plutôt que tapissé, je souhaitais faire de ce fauteuil un élément à part entière de l'identité du lieu et de l'esprit à la fois fonctionnel, naturel, sobre et sophistiqué qui le caractérise. Des banquettes en simili cuir complètent le mobilier et assurent le confort autant que la convivialité. Afin de préserver la beauté de la vue de Paris, des luminaires d'angle discrets sont placés perpendiculairement aux vitres des façades. S'intégrant discrètement dans les poteaux métalliques qui supportent le plafond du restaurant, leur forme rend hommage à l'esthétique industrielle de la tour.
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