En questionnant les méthodes et circuits de fabrication pour un monde plus durable, elles démontrent brillamment que l'on peut éco-concevoir de beaux produits, utiles et vertueux, en travaillant en bonne intelligence avec Mère nature. Aujourd’hui, la production, industrielle notamment, est en pleine mutation, bousculée par les défis environnementaux, autant que les enjeux économiques corollaires. Or pour accompagner ces changements et catalyser intelligemment le changement, quel levier plus puissant que le design ? La dernière édition de L’Observeur du design a distingué d’une étoile le projet Ostraco de la jeune conceptrice Lucille Viaud : une recherche menée sur la valorisation des déchets issus de la filière halieutique (pêche et aquaculture). Un peu plus au nord, à Eindhoven, les fondatrices de l’Atelier NL ouvraient les portes de leur studio – la Earth Alchemy Factory – lors de la Dutch Design Week en octobre dernier et présentaient les derniers résultats d’une recherche sur le sable entamée il y a huit ans : « To see the world in a grain of sand » – Regarder le monde dans un grain de sable . Une question sur l’origine des matières premières, des cycles et circuits de production, et un matériau final (le verre) commun aux deux approches. Récit de projets engagés.
« LA NOTION DE DÉCHET N’EXISTE PAS. »
« L’écoconception est une évidence, s’amuse Lucille Viaud. Il est essentiel de maîtriser l’impact des objets que nous concevons. S’ils ne peuvent être recyclés ou réutilisés, à quoi bon les créer ? ».
Étudiante à l’école Boulle, elle se penche sur les déchets issus de l'industrie de la pêche, comprend qu'en greffant sa recherche à un circuit existant (celui de la transformation de ces déchets), elle peut leur ouvrir une voie de valorisation supplémentaire. Et puis, « toute matière peut se révéler d'exception » … Elle trouve alors deux partenaires : ID Mer, un institut breton de recherche et développement en technologie agro-marine, et l'usine de Kervellerin près de Lorient, spécialisée dans la fabrication et la vente de produits (principalement des poudres et des farines) élaborés à partir des déchets de la mer. « Ceux-ci sont utilisés dans l'industrie agroalimentaire, la cosmétologie ou la parapharmacie, mais il n'existe pas de développement matériau », explique Lucille Viaud. Fédérant une équipe composée de divers conseillers scientifiques et d’un industriel, elle réfléchit d’abord à la mise au point d’un plâtre de mer. Mais sa solidité, et donc son potentiel d’application, s’avère néanmoins limitée. Aidée par le Centre de recherche sur les arts verriers (CERFAV), elle développe alors le verre Marin Glaz : composé essentiellement de poudre de coquille d’huître, il peut être travaillé avec les savoir-faire verriers traditionnels. De là naît la collection Ostraco, produite aujourd’hui par un maître verrier de l’atelier Silicybine, installé à Arcueil en région parisienne. Sa couleur ? Elle dépend de la provenance des coquilles et des algues. Cette idée de nuancier « local » participe pleinement du sens des objets. Depuis l’obtention de son diplôme en 2015, la designer, actuellement en résidence aux ateliers de Paris, poursuit ses recherches et travaille sur la conception d’un second verre Abysse , 100 % marin. Tout un chacun peut soutenir le projet, via la campagne de financement participatif lancée sur la plateforme Kisskissbankbank.
MONDE DE SABLE, SABLES DU MONDE
Autre pays, autre démarche, mêmes convictions ! On a beau trouver du sable partout sur la planète l'industrie verrière, elle, peine à en s'en procurer… Car elle n'utilise que du sable blanc extrait de carrières dont la surexploitation sert à produire tous types d'objets, des arts de la table aux écrans tactiles de nos smartphones.
Et si ? Si l'on revoyait les méthodes d'extraction de ce matériau ? Si l'on interrogeait la ressource elle-même ? Ce sont ces questions et un regard attentif posé sur les petits grains ordinaires, leur beauté intrinsèque, qui ont poussé les designers Lonny van Ryswyck et Nadine Sterk, fondatrices de l'Atelier NL, à entreprendre en 2010 un voyage particulier. Pendant sept ans, elles ont étudié les sables des plages, des forêts, des dunes, dans leur pays et en Europe. Elles ont ausculté les grains, les ont collectionnés et se sont fait chimistes, cherchant patiemment, à rebours des pratiques de l'industrie, à mettre au point dans leur atelier d'Eindhoven des recettes de verre à partir de leurs récoltes. Un processus long, entièrement autonome.
« Personne ne voulait fusionner nos recettes ! Il était hors de question, des industriels aux artisans verriers, que nous mettions nos grains sales et impurs dans leurs fours ! » , raconte Lonny van Ryswyck.
Peu importe. Elles construisent le leur, impliquent la communauté, et mettent au point deux verres aux teintes très différentes. L'un est fait à partir de sable récolté sur une plage aux Pays-Bas. Le sable de l'autre vient d'une forêt située non loin de Maastricht dont les sols contiennent beaucoup de métal : cela donne au verre une couleur sombre et profonde. Et à chaque nouvelle fournée, c'est la surprise. La couleur du matériau n'est jamais la même selon l'endroit d'où provient le sable. La collection d'objets d'art de la table qui naît de cette recherche, sobrement intitulée ZandGlas - « verre de sable » - et estampillée avec la provenance de chaque sable, sera d'ailleurs distinguée : en octobre 2017, à l'occasion de la Dutch Design Week d'Eindhoven, les designers obtiennent le Dutch Design Award. En août de la même année, Lonny et Sabine se sont aussi lancées dans une collecte d'envergure : elles ont fait appel à la communauté mondiale, qui leur a envoyé près de 300 échantillons de sable, accompagnés de témoignages, et à partir desquels elles ont réalisé une mappemonde d'un nouveau genre. En expérimentant ainsi, les designers démontrent qu'il est possible de faire de beaux produits, attractifs, à partir de ressources disponibles en abondance. Le résultat, différent à chaque fois, est porteur de sens pour tout un chacun. Elles offrent aussi une alternative à l'industrie traditionnelle, réévaluant de façon intelligente le déjà-là, pour la construction d'un avenir meilleur.
Article paru dans Architectures À Vivre 100 : La maison qui vous veut du bien (mars-avril-mai 2018)