Rédigé par Raphaëlle Saint-Pierre | Publié le 21/05/2021
En 2014, Aksel, scandinave cinquantenaire, achète 13 hectares de terrain dans les Marches, région d'Italie centrale particulièrement recherchée pour ses paysages ondoyants ponctués de demeures isolées sur des promontoires. Sa propriété se trouve sur la commune d'Urbino, village de la Renaissance inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco. Il fait appel à l'agence GGA dont il a entendu parler et qui se trouve non loin de là, à Rimini, sur la côte adriatique. « Nous sommes réputés pour notre attention aux détails, notre quête d'une architecture adaptée au monde actuel et notre réticence face aux pastiches pseudo-régionaux », racontent les architectes Alice Gardini et Nicola Gibertini. Sur place, ils découvrent au sommet d'une colline plus haute que les autres, les ruines d'une ferme construite dans les années 1960 sur les vestiges d'un hameau moyenâgeux. « Notre client est un amoureux de l'Italie. Il rêvait juste d'une résidence secondaire contemporaine pour passer des vacances au calme avec sa famille nombreuse et ses amis, un endroit secret où pratiquer ses hobbies : le sport, la musique, l'art, le cinéma. »
PLATEFORME ROUGE
Le projet prend rapidement sa forme finale. Alice Gardini et Nicola Gibertini choisissent de démolir les restes des anciennes bâtisses, sans intérêt particulier, puis de reconstruire à leur emplacement trois édifices qui abritent en tout 1 080 mètres carrés. Les réglementations locales d'urbanisme leur imposent de respecter les volumétries initiales et d'opter pour des toitures en tuiles. Admirateur des architectes italiens de la seconde moitié du XXe siècle - tels Carlo Scarpa, Angelo Mangiarotti ou Luigi Caccia Dominioni -, le duo n'en connaît pas moins les subtilités constructives et esthétiques des siècles passés. « Nous avons étudié longuement l'histoire de l'architecture rurale de cette région. Nous n'étions pas obligés d'habiller les façades de pierre et de bois naturels, comme cela se faisait ; cela relève de notre choix », précisent-ils.
Sur une plateforme en béton de 38 mètres sur 20, revêtue d'une résine rouge évoquant la teinte et la texture des carreaux de céramique d'autrefois, ils placent la maison principale et une annexe réservée aux amis. Perpendiculaires l'une à l'autre mais séparées, elles sont en réalité reliées au niveau du sous-sol. Le troisième bâtiment, destiné au barbecue et au matériel d'entretien du jardin, se dresse un peu plus loin, en haut d'une petite colline artificielle séquencée par des marches en acier Corten.
ARTEFACTS
« Avec leurs proportions mesurées, ces bâtiments semblent avoir toujours appartenu à ce lieu. Ils s'inscrivent dans le site comme de discrets artefacts », analyse Nicola Gibertini. La composition d'ensemble oscille entre classicisme et abstraction. Les façades sont débarrassées de tout élément superfétatoire pouvant brouiller la lecture de leurs lignes pures. Ainsi, le dernier rang de tuiles est espacé pour que l'eau coule à l'intérieur d'une gouttière cachée en-dessous. Les descentes sont elles aussi dissimulées dans une cavité extérieure ménagée entre le parement de pierre et le pare-pluie. Cet interstice permet également de faire passer tout le réseau du système d'air conditionné. « Dieu est dans les détails… », s'amuse l'architecte. La maison principale, marquée par la composition symétrique de ses fenêtres et portes-fenêtres, exprime clairement sa fonction. Tandis que les deux autres bâtiments, avec leurs brise-soleil verticaux en châtaignier, apparaissent davantage comme les réminiscences des granges dont la présence caractérise ce décor essentiellement agricole. Une piscine à débordement, dont les parois grises en béton reflètent subtilement le ciel, suit la limite de la terrasse. Pour animer cette dernière, les architectes font venir du sud de l'Italie un imposant olivier tricentenaire. « Nous voulions une sculpture typiquement italienne pour le jardin, un signe naturel au milieu d'une telle géométrisation anthropomorphique… », éclairent-ils.
AMBIANCE BRUTALISTE
Le programme se répartit sur trois niveaux. Pour éviter la vision de voitures garées à l'extérieur, l'entrée principale s'effectue en véhicule, par le sous-sol. À ce niveau, se répartissent les zones techniques, une salle de cinéma, une salle de sport et un spa. Le large couloir reliant la villa à son annexe est traité à la manière d'une galerie d'exposition. Un escalier droit mène directement du garage au cœur de l'habitation, dans l'axe d'une fenêtre révélant la vue sur l'enchaînement des vallons. Les architectes donnent au paysage le rôle principal, sans pour autant le livrer à la vue à travers d'immenses baies. Au contraire, ils préfèrent le cadrer par des ouvertures régulièrement percées et qui se répondent d'une façade à l'autre. Le rez-de-chaussée, de plain-pied avec la terrasse, abrite le salon et la cuisine-salle à manger. À l'étage, la suite du propriétaire et deux chambres sont aménagées de part et d'autre d'une circulation en mezzanine. La maison d'amis peut être, elle, utilisée en totale indépendance. L'ensemble fonctionne grâce à l'électricité produite par des panneaux photovoltaïques et des capteurs solaires thermiques installés sur le sol de la propriété, mais assez éloignés des bâtiments pour ne pas perturber la vue depuis leurs abords. Si de l'extérieur, le projet donne une interprétation fidèle des formes typiques de la région, l'intérieur de la maison principale manifeste haut et fort son identité moderne. La structure en béton armé laissée apparente a été méticuleusement travaillée pour que l'empreinte des veines des planches de coffrage présente un aspect impeccable.
« Nous aimons construire avec du béton car, comme la pierre, il semble ne pas avoir d'âge », avouent les architectes.
La quasi-totalité du mobilier, fixe ou non, est dessinée sur mesure et réalisée en noyer naturel italien. Cette unité apporte une véritable cohérence au lieu et permet de libérer les pièces de tout encombrement en camouflant derrière des pans de bois les zones de service, les éléments techniques audio et vidéo et l'air conditionné. À la recherche d'une solide équipe de menuisiers et d'ébénistes, l'agence décide de faire appel à Riva 1920, une entreprise artisanale réputée en Italie depuis bientôt cent ans pour ses réalisations en bois massif. « C'est un projet qui se veut extrêmement honnête dans le traitement des matériaux, reconnaissent Alice Gardini et Nicola Gibertini. À la fois contemporain et atemporel… même si c'est un oxymore ! »