«J'ai une démarche très intuitive, raconte Élise Fouin. J'ai besoin de voir, de comprendre comment les choses se font, d'y mettre les mains, de tâtonner, pour trouver où interagir avec une entreprise, et faire naître les bonnes directions de projet. » Alors à l'invitation de Lille Design1, à participer à l'exposition « Passé, présent, mémoire industrielle2 », en duo avec la Manufacture Jules Pansu, elle répond par deux visites : l'une au showroom parisien de l'entreprise, et l'autre dans les ateliers lillois de la Manufacture, évidemment.
À Paris, elle découvre les tapisseries, interprétations textiles des œuvres des maîtres modernes (Picasso, Miró, etc.), ou reproductions de chefs d'œuvre plus anciens, comme la Dame à la licorne (fin du XVe siècle), pour la plupart destinées aux boutiques de musées. Intuition un : l'envers de l'art… « Une fois l'œuvre tissée, raconte-t-elle, les fils visibles sur l'endroit diffèrent totalement de ceux que l'on voit sur l'envers. Comme si l'on perdait la trace de toutes les couleurs nécessaires pour créer le jeu d'armures qui permet d'obtenir le dessin. C'est en quelque sorte la seule mémoire qui reste du tissage à proprement parler. Je trouvais cet aspect intéressant à mettre en lumière. » Elle le fera littéralement.
Puis direction Lille. Là, elle traine dans les ateliers, observe les métiers… et les petits ciseaux qui, sur les bords des tapisseries, découpent les lisières. Elle en prélève de petites quantités, rentre chez elle, et « laisse infuser ». Puis elle enroule, déroule, tâte, accroche, décroche, et se met à fabriquer de petits monticules de Picasso, de Miró. Des Tumulys, clin d'œil artistique aux terrils du Nord. Intuition deux : fils, motifs, design textile. Elle dessine les éclats de couleur des Tumulys et retourne sur le métier pour la « mise en carte » des dessins. Opération tapisserie, aux côtés de Véronique, tisserande et meilleure ouvrière de France. « Mon dessin est scanné, puis un logiciel le transpose en carte numérique [le pilote de métier jacquard, ndlr]. Sauf que la phase intermédiaire d'adaptation de la carte en fils nécessite une gymnastique d'esprit et une connaissance des combinaisons matières/couleurs incroyable ! » La tisserande attribue tel fil (laine, coton, Lurex, etc.) de telle couleur précisément sur la carte, anticipant les croisements, les jeux de lumière, la création de couleurs intermédiaires par le tissage lui-même, etc., pour que le résultat soit le plus fidèle possible au dessin. Un jeu, donc, entre l'intuition, la projection, et la technique, qui donnera naissance à une idée de luminaire, présentée dans l'exposition, avec les terrils Tumulys.
La boucle est presque bouclée. Car qui dit design, dit aussi produit et nouvelles perspectives. La collaboration ne s'arrête pas là : une collection de coussins et une lampe seront bientôt disponibles sur le futur e-shop de la Manufacture, développement de nouveaux marchés oblige. « Ici, la réflexion se double d'une optimisation des procédés, explique Élise Fouin. Le textile, tissé de manière concentrique, donne la forme de la lampe sans sur-ajout de structure : juste un cerclage métallique, un rivet, une douille. Idem pour les coussins. On prélève des morceaux de motifs de la tapisserie, que l'on calepine au format de l'objet sur le mètre cinquante de largeur du métier, et qu'on déroule sur une longueur donnée. Cela permet de plus une variation infinie de rendus, à partir du même motif, et de la même carte. » Un cercle vertueux, donc, à la lisière, c'est le mot, de l'artisanat, du design et des arts décoratifs.
1 Plateforme de développement économique par le design du Nord de la France
2 Le Fresnoy - Studio National des Arts contemporains