Ces sublimes incongruités sont celles que créent, à l’écart des sentiers battus de l’art, les marginaux de toutes sortes: à l’ombre d’une prison ou dans le lit d’un asile, qu’ils dessinent, peignent ou modèlent, leurs pièces trouvent refuge dans cette improbable collection, où les sculptures en mie de pain côtoient de grimaçants masques en coquillages. Parmi les 60000 créations patiemment regroupées par l’institution depuis près de 70 ans dans le château de Beaulieu, nombreuses sont celles qui parlent d’architecture. Jusqu’au 17 avril, la deuxième Biennale de l’Art Brut met donc ces curieux édifices à l’honneur. Faisant fi des dessins techniques et des plans, ces édifices sur papier, en planches ou fils tressés s’y affranchissent des conventions. Extravagantes, absurdes et délirantes, chacune d’entre elles contribue à créer un univers unique sans jamais sembler se soucier de la postérité, des façades graphiques et chatoyantes coloriées par Benjamin Bonjour, aux huttes et granges rassemblées sur planches, savantes et quasi-encyclopédiques de Gregory L. Blackstock. Beaucoup de ces créateurs, ce faisant, tentent de réparer une destinée brisée, suite d’internements ou d’emprisonnements. Hormis le dissident Yuri Titov, qui après avoir fui l’Union Soviétique et perdu femme et raison, barde ses dessins de slogans tracés au feutre, aucun architecte ne se trouve parmi eux. Tous, néanmoins, restent obsédés par l’univers de la construction, et lui ont, à leur manière, consacré une grande partie de leur vie. Dans une salle à part, des environnements visionnaires –ainsi appelle-t-on ces sculptures monumentales, dont le palais du Facteur Cheval, en France, reste l’exemple le plus connu– témoignent de cet étonnant acharnement à travers films et photos. Des tours élancées de Simon Rodia à Los Angeles, aux cabanes asymétriques de Richard Greaves au Canada, les exemples se suivent mais ne se ressemblent jamais, remarquables par le rêve qu’ils poursuivent. Ils laissent à ces artistes méconnus une fenêtre ouverte sur leur prison, qu’elle soit mentale ou véritable cellule.