Cette maison, je l'ai conçue pour ma famille et pour moi-même. Je pense que je n'aurais pas pu être aussi radicale si je l'avais dessinée pour quelqu'un d'autre » , explique Jennifer Bonner pour introduire sa dernière réalisation : sa propre résidence secondaire, OVNI architectural construit en 2018 dans un quartier pavillonnaire de la ville d'Atlanta, au sud-est des États-Unis. Ne se fixant aucune limite, l'architecte, également professeure à la Harvard Graduate School of Design, appréhende ce projet comme un champ d'expérimentation grandeur nature. C'est l'occasion pour elle de prolonger ses recherches, d'éprouver le bien-fondé de certains grands principes architecturaux et même de tenter quelques folies. En bref : d'imaginer la maison de demain.
MAQUETTE GÉANTE
Pour comprendre la volumétrie troublante de la maison de Jennifer Bonner, singularisée par une toiture aussi accidentée qu'une chaîne de montagnes, il faut remonter à 2014, date à laquelle la conceptrice présente son exposition « Domestic Hats », aboutissement de travaux de recherche sur les typologies de toitures des maisons d'Atlanta. En plus de souligner la prépondérance des toits à deux et quatre pans dans la région, l'architecte défend à travers cette présentation l'idée selon laquelle « il pourrait être possible de dessiner une habitation à partir du plan de toiture, et non du plan de sol » . Un principe tiré de la théorie du Raumplan de l'Autrichien Adolf Loos, qu'elle illustre en concevant de grandes maquettes immaculées, toutes construites selon un plan rectangulaire, où elle multiplie les lignes de faîtage en toiture. Ces dernières inspireront celles de sa propre maison, d'ailleurs baptisée « Haus Gables » - littéralement, la « maison aux pignons ». Concrètement, c'est une façon pour Jennifer Bonner d'inscrire sa réalisation dans le tissu pavillonnaire environnant, tout en marquant une rupture certaine. Mais c'est surtout le moyen d'appliquer la théorie du grand Adolf Loos. L'idée ? Dessiner le projet en partant des volumes et non d'un plan en 2D. Résultat : les espaces de vie profitent d'une belle hauteur sous plafond - quitte à installer le salon à l'étage -, tandis que les pièces intimes sont aménagées dans des volumes plus réduits, plus feutrés, à l'image des salles d'eau.
PLASTIQUE, LE BOIS ?
Mais qui souhaite sculpter des volumes sous plafond espère le plus souvent se passer de renforts, afin de ne pas altérer la majesté du résultat obtenu. « Alors que je travaillais sur la conception d'une autre maison, un ingénieur avec qui je collaborais m'a suggéré d'utiliser le CLT [bois lamellé-croisé, ndlr] pour la Haus Gables. Ce procédé me permettrait de révéler la géométrie de la toiture depuis l'intérieur même » , détaille Jennifer Bonner. C'est également l'occasion pour elle d'employer un matériau relativement inédit aux États-Unis, tout en raccourcissant la durée du chantier, puisque l'habitation sort de terre en seulement 14 jours ! « Ces panneaux de bois confèrent aussi un rendu monolithique au projet ! » , ajoute la conceptrice.
« Alors que je travaillais sur la conception d'une autre maison, un ingénieur avec qui je collaborais m'a suggéré d'utiliser le CLT pour la Haus Gables . » - Jennifer Bonner, architecte
FAUX-SEMBLANTS
Si ces préoccupations sont celles d'une chercheuse, Jennifer Bonner ne manque pas de prêter une attention certaine aux matériaux et autres finitions - prouvant au passage que les architectes d'intérieur ne sont pas les seuls à avoir de telles considérations. « Bien que concevant une habitation entièrement en CLT, je voulais compenser l'image d'une maison en bois par ce que nous appelons aux États-Unis des “faux-finis”, couramment utilisés dans le sud du pays pour des raisons budgétaires » , raconte la conceptrice, qui use et abuse de ce procédé. En façade, des briques blanches leurrent ainsi les passants sur la structure de la Haus Gables. À l'intérieur, plaques de vinyle ou encore carreaux de céramique imitant tantôt le terrazzo, tantôt le marbre animent et définissent les différents espaces de l'habitation. Enfin… pas tout à fait, Jennifer Bonner ayant choisi de faire déborder ces finitions sur les limites de chaque pièce. Une façon bien à elle de jouer avec les apparences dans cette maison-laboratoire propice à la création de nouveaux usages…
« Cette maison, je l’ai conçue pour ma famille et pour moi-même. Je pense que je n’aurais pas pu être aussi radicale si je l’avais dessinée pour quelqu’un d’autre. » Jennifer Bonner, architecte
⇒ Projet paru dans Architectures À Vivre 112 : La maison réinventée disponible en version numérique sur la boutique en ligne.
FICHE TECHNIQUE
♦ architectes Mall - Jennifer Bonner, Ben Halpern, Benzi Rodman, Justin Jiang, Dohyun Lee et Daniela Leon
www.jenniferbonner. com
♦ localisation Atlanta, États-Unis
♦ livraison 2018
♦ études + travaux 5 ans
♦ surface 204 m² (environ)
♦ matériaux CLT de chez KLH® (structure) / carrelage imitation OSB de chez Vives Ceramica (revêtement entrée et escalier) / carrelage imitation terrazzo de chez Eco-Terr (revêtement cuisine, plans de travail, passerelle et escalier) / vinyle de chez Forbo (revêtement salle à manger et chambre parentale) / vinyle de chez Johnsonite (revêtement séjour et chambre) / carrelage imitation marbre de chez Ornamenta (salles de bains)
♦ équipements bancs Nelson de George Nelson chez Herman Miller / fauteuils Paulistano de Paulo Mendes da Rocha chez DWR / tabouret Colonna de Ettore Sottsass chez Kartell / tabouret de bar About a Stool AAS 32 de Hee Welling chez HAY / table à manger 70/70 de TAF Architects de chez Muuto / Wire Chair de Charles et Ray Eames chez Herman Miller / Chariot de GamFratesi Studio chez Casamania / canapé Palo-2 de HEM Design Studio / table d'appoint Halves de M-S-D-S Studio chez Muuto / lits The Floyd Platform Bed chez Floyd / coussins Loop Cushion chez Ferm Living / fauteuil Plumy de Annie Hiéronimus chez Ligne Roset / tapis Dot de Scholten + Baijings pour HAY / table de salon Slit XL chez HAY / chaises Bunny de Gaurav Nanda chez Bend / coussin Knot de Ragnheiður Ösp chez DWR