Avant d'être directrice, vous connaissiez bien le salon du côté des visiteurs. Quels sont les enjeux aujourd'hui ?
Oui, j'avais bien en tête les bénéfices apportés aux clients : je venais à chaque édition pour l'inspiration pour m'imprégner des nouvelles tendances et recruter de nouvelles marques. En prenant la direction, j'avais envie de faire évoluer cette proposition pour répondre à des enjeux très marqués postCovid, dans un marché en pleine mutation, en remettant bien le client au cœur de la réflexion. Avec l'ensemble des équipes, on a beaucoup questionné les exposants, les clients, qu'ils soient retailers, architectes de projets résidentiels ou d'hospitality, en France comme à l'international, pour dessiner une cartographie des enjeux de chacun. C'était très flagrant : pour les premiers, les attentes portent sur des enjeux de singularité, de durabilité, de fonctionnalité et de notoriété. Pour les seconds, les prescripteurs recherchent le bon produit, et justement de la singularité, de l'identité.
Avec l'équipe, nous repositionnons donc le salon sur ses fondamentaux : le visiteur vient pour découvrir des nouveaux produits de marques qu'il connaît mais aussi des nouvelles marques. Ce socle historique, inspiration-curation, est essentiel : l'édition de janvier comprendra 2300 exposants ( + 10 % depuis janvier 2023). Il y aura 600 nouvelles marques; les équipes ont vraiment travaillé activement à cette nouveauté.
L'accompagnement des prescripteurs se fait aussi à travers la curation d'Elizabeth Leriche, (les espaces What's New ?) ou d'experts de retails.
Nous cherchons à répondre de manière précise et utile aux clients avec des présentations de marques, des animations, des solutions. C'est notamment l'idée du secteur bien-être inauguré en septembre dernier : aujourd'hui un retailer cherche à vendre un produit avec une expérience, ce qui est également vrai dans l'autre sens pour l'ensemble des prescripteurs, qui créent de l'expérience à partir d'un produit.
En janvier, il y a aussi un parcours dans des showrooms avec "Maison & Objet In the city". Avec la plateforme MOM et les événements dans la capitale parallèlement au salon, peut-on parler aujourd'hui d'un "écosystème Maison & Objet" ?
Tout à fait. En tant que business partner, nous sommes là pour aider l'industrie de l'habitat et de la maison à se développer quantitativement et qualitativement. Et Maison & Objet est un média en soi dans cet écosystème global. Rappelons que nous sommes le seul salon au monde à avoir deux temps forts annuels. De plus, la plateforme MOM existe depuis 8 ans avec cette volonté d'accompagner le client toute l'année, avec une proposition de produits, matières, couleurs, style... Le Covid a démontré que l'on pouvait grâce au digital développer son activité. Il n'y a plus d'arbitrage entre le physique et le virtuel. Et aujourd'hui le média salon est de nouveau plébiscité avec une recherche expérientielle autour du produit; et la volonté de renouer avec des vraies relations physiques. L'un se jouxte à l'autre. Depuis trois ans, nous avons le programme Maison & Objet In the City en janvier, et depuis douze ans, la Paris Design Week accompagne l'édition de septembre.
De fait, comment vous percevez actuellement l'évolution du marché de la maison ?
Plus que des chiffres, je préfère vous livrer des retours d'expériences, ceux des fabricants qu'on interroge, des prescripteurs. Pendant le Covid on a constaté une croissance assez forte du marché qui s'est un peu atténuée, même si on est toujours en croissance dans cette industrie versus les données de 2019. Mais c'est un marché qui bouge, challengé par l'inflation en France, en Europe.
Cela dit, les mutations actuelles font apparaître un marché où la qualité est plus prégnante : il démontre une volonté des fabricants de s'engager pour intégrer de manière de plus en plus significative l'écoresponsabilité au cœur de la stratégie de développement de produits mais aussi de leur stratégie de marque. C'est très visible dans la nouvelle garde qui arrive sur le marché.
Et on constate des verticales de marché très dynamiques : les particuliers achètent moins de résidences principales, eu égard à l'inflation ; en revanche ils s'orientent plus sur les loisirs, l'entertainment, les sorties, des lieux hors de chez soi qui accueillent le public.
D'où cette ouverture du salon à ce qu'on appelle "hospitality "? On constatait déjà des influences et des inspirations d'aménagement d'espaces pensés pour les hôtels qui basculent ensuite vers le résidentiel.
L'hospitality est un marché en pleine croissance. C'est un phénomène très fort : la majorité des fabricants se lancent ou se sont lancés sur ce marché depuis quelques années. On poursuit l'Hospitality Lab lancé en septembre, en y intégrant un forum d'inspiration réalisé par l'agence de tendance Peclercs, qui apporte sous forme immersive une dimension prospective. Et on développe des showcases : Studio REV a eu une carte blanche pour cette édition. Et on va pousser le curseur encore plus loin dans les prochains salons.
Ces marchés, qui avant étaient très fractionnés avec d'un côté du fonctionnel et de l'autre, du plus singulier, désirable, tendent à proposer les deux. Aujourd'hui, un hôtel qui s'équipe va aussi rechercher la marque pour l'intégrer dans son concept global (alors qu'elle était davantage minimisée avant) : il y a ici un vrai enjeu de développer leur notoriété auprès de ce public, de communiquer sur les bénéfices et les valeurs de leurs produits
L'outdoor est un troisième secteur où l'on sent un engouement. On est aussi dans cette volonté de prolonger l'espace de vie dehors, pas seulement fonctionnel, mais dans une approche de bien-être. L'outdoor a cette vocation de prolonger son intérieur vers l'extérieur, avec du mobilier, résistant, mais confortable et esthétique.
On le perçoit dans les révolutions techniques du textile par exemple ?
Ayant travaillé dans des industries textile, je constate effectivement que, pour l'intérieur comme l'extérieur, on est sur de l'innovation de nouvelles matières, durables, résistantes. C'est un champ d'opportunité dans l'habitat, pour apporter une nouvelle proposition de valeurs, aux prescripteurs et par ricochets au client final. On sent que cette mutation concerne beaucoup de marchés, avec une vraie volonté d'innover; un design au service d'usages, de matières, produites à partir de matières recyclées ou recyclables.
La question de la seconde main sera présente sur le salon sur des stands (avec De Bon Goût) et dans le programme des talks. Un nouveau champ de développement ?
Nous sommes en très forte observation, car aujourd'hui plus qu'une tendance, la seconde main est un état de fait. Ce marché est en pleine construction, même si certains acteurs cherchent encore des modèles économiques. Il ne faut pas en avoir peur mais savoir l'intégrer dans son projet de prescripteur et/ ou de retailer. C'est une question de dosage, d'équilibre. Ce qui est certain, c'est que le client final; qu'il soit propriétaire d'une résidence privée, d'un établissement, espace d'accueil, attend de pouvoir mixer dans ses achats de la première main et de la seconde main. Ce n'est pas seulement une question de prix, mais aussi un rapport à l' histoire, un lien avec le temps, le vintage au sens très noble du terme. Certains prescripteurs parlent de produits "chargés de vie", dans une idée de transmission. Dans cette période où l'on parle beaucoup de storytelling, la seconde main permet de transmettre des valeurs d'authenticité, de sincérité.
Pour ses trente ans, le salon se veut donc un reflet de la créativité du marché ?
Depuis 30 ans, notre mission est d'être un amplificateur de business pour les professionnels du design et de la décoration. Le salon se veut avant tout être l'expression de la scène créative française et internationale. Je pense vraiment que c'est de l'hybridation des communautés, du collectif, que naît aussi une nouvelle forme de créativité. Et c'est aussi ces nouvelles hybridations que Maison & Objet doit refléter.