Rédigé par Jean-Philippe Hugron | Publié le 11/10/2021
Dans un village de pêcheurs de la pointe du Raz, au sud-ouest du Finistère, Aurélien Chen a imaginé, pour une famille, une maison où toutes les générations peuvent se retrouver mais aussi, de temps à autre, s'isoler. Il y a une mère, ses deux enfants, aujourd'hui adultes, et leurs conjoints respectifs. Le projet est, à leur demande, né au moment de l'acquisition de la parcelle. Des faisabilités ont en effet confirmé l'impression première : le site serait idéal pour loger toute la fratrie. Pour autant, les volumes rapidement esquissés au regard des règles d'urbanisme ne sont pas ceux qui ont été réalisés. Le temps, pour la maîtrise d'ouvrage, de trouver le budget pour mener à bien les travaux, a été, pour la maîtrise d'œuvre, celui de parfaire une proposition. « Je travaillais alors depuis quinze ans en Chine, sur de très grands projets et, bien souvent, sur des objets sans contexte, autrement dit d'importants équipements culturels au sein de villes nouvelles. Le bourg d'Audierne réclamait une approche plus délicate », raconte l'architecte. Aussi, l'imposante longère de deux niveaux tracée au tout début de la réflexion est progressivement fracturée. La configuration de la parcelle invite en outre à ce découpage qui vient parfaitement troubler l'effet de masse. De par trop visible à l'entrée du village, la maison, dans sa première configuration, aurait écrasé son contexte. En sculptant les volumes et, surtout, en faisant varier les hauteurs, Aurélien Chen propose une intégration plus douce. L'exercice formel poussé, la matérialité est étudiée. Le granit est rapidement abandonné pour des raisons de coût : la commande est, avant tout, modeste et les moyens sont limités. Dans ces circonstances, l'architecte développe un volume à vivre sans décor, ni ornementation. « Espaces, lumière et matière suffisent. La plupart des projets japonais que j'admire se limitent à cette triade », indique l'architecte. L'économie dicte aussi un parti pris structurel : une charpente en bois pour le volume principal et une maçonnerie de parpaings pour les deux plus petits.
Piloté à distance
Si Aurélien Chen est aujourd'hui en France, il était, au moment du chantier, encore en Chine. La maîtrise des coûts réclamait de procéder en corps d'état séparés ; la distance aurait pu rendre l'exercice périlleux. « Toutes les entreprises ont été sélectionnées pour leurs compétences mais aussi pour leur aptitude, voire leur habitude, à travailler ensemble » , prévient-il. Pour la conception de la charpente, deux journées de workshop ont cependant été requises, sur place. Aurélien Chen a ensuite modélisé en 3D toutes les pièces du puzzle afin qu'il n'y ait aucune mauvaise surprise. À plus de 9 000 kilomètres de distance, son regard attentif ne remarque aucun écart par rapport aux plans établis. L'œil critique de certains voisins observe la progression de l'opération. L'enthousiasme est enfin de mise quand les façades en bois sont montées. La teinte grise intègre la maison dans son contexte. Mieux, elle rappelle la pierre des constructions alentour.
Maison sentinelle
À l'intérieur, les trois chambres et salles de bains sont éloignées les unes des autres. Au centre, un vide de 7 mètres de haut et de 1,5 mètre de large assure le cadre de la rencontre. Au sommet, une verrière propose un éclairage naturel zénithal. Par ailleurs, d'une pièce à l'autre, de larges baies vitrées s'ouvrent sur l'extérieur. En mire de la cuisine et du salon, le phare du port. Depuis l'étage, l'horizon est, par-dessus les toits, en vue. « Quelques centimètres suffisent à changer la perception. Nous avons, en ce sens, imaginé une marche pour le balcon », précise Aurélien Chen. L'endroit, de fait, permet d'observer la mer, d'être en vigie ou presque. « La maison doit d'ailleurs son nom à un aïeul de la famille, marin-pêcheur de métier, que ses confrères avaient surnommé Sentinelle tant il passait son temps à guetter la mer », poursuit-il. Bien d'autres hommages subtils sont rendus. Parmi eux, une grille métallique le long de l'escalier est un clin d'œil à la pêche locale qui les utilise pour draguer le sable afin de récolter des tellines. Sans bouée, ni filet, voilà, dans cet maison un art de vivre mais aussi une belle évocation de la Bretagne.