En 2015, la thématique ouverte « The State of the Art of Architecture » réalisait un état des lieux de la discipline à l'échelle internationale et en dressait un portrait joyeux où étaient abordées les problématiques contemporaines et contextuelles : optimisation des ressources et des moyens, problème du logement, du déplacement des populations, du changement climatique, etc. Il en découlait l'évidence que l'architecture était partout, dépassant ses propres frontières, jouant son rôle à toutes les échelles de la société.
Avec pour ligne directrice « Make New History », la deuxième édition commissionnée par les architectes de Los Angeles Mark Lee et Sharon Johnston propose une thématique plus introspective - autocentrée diront certains - et donc peut-être moins facilement abordable.
Plus de 140 participants ont été invités à réfléchir à l'impact du « matériel historique » sur leur travaux. Jusqu'au 7 janvier, leurs recherches sont présentées au Cultural Center de Chicago, édifice somptueux en plein cœur du quartier historique du Loop, et qui fut la première bibliothèque publique de la ville en 1897. Analyser le passé pour mieux comprendre le présent et envisager l'avenir : l'objectif ambitieux de ce balayage temporel pose la question même de la définition et de la place de l'Histoire en architecture, de la manière dont les architectes aujourd'hui -et en particulier les plus jeunes agences ici représentées en majorité - peuvent l'embrasser.
Les commissaires, eux, l'imaginent plus « comme un horizon qu'un processus linéaire ».
Les projets présentés semblent arguer que l'architecture contemporaine peut (et doit ?) trouver l'inspiration au cœur même de la discipline, dans son (riche) cahier de références. Dans ce qui pourrait apparaître comme un mouvement assumé de repli sur soi, un retour à l'essentiel, à la substantifique moëlle du métier. Ce recentrage s'exprime aussi dans la forme des rendus de cette Biennale : le papier au détriment des pixels (Bak Gordon Arquitectos, Pezo von Ellri-chshausen), le squelette au détriment de la peau (architecten de vylder vinck taillieu, Studio Mumbai).
La problématique de la représentation de l'architecture, du medium par lequel les architectes communiquent leur savoir-faire (photos, dessins, plans, etc.), est d'ailleurs très présente. Dans une société où l'information (vérifiée ou non) circule maintenant partout et presque instantanément, la force de l'image peut être à double tranchant : rendre iconique une création comme l'enfermer dans un carcan réducteur. Cette dualité atteint son apogée dans un des deux grands projets collectifs de la Biennale : pour Horizontal City, vingt-quatre équipes d'architectes proposent la transposition d'une image iconique d'un intérieur choisi par leurs soins (de SuperStudio, Marcel Duchamp, Viollet-le-Duc ou encore Édouard Manet). L'idée ici est de s'échapper du cadre pour extrapoler en trois dimensions un mode de vie et de construction spatial. Le second projet collectif, Vertical City, se veut aussi une remise au goût du jour : seize équipes sont invitées à participer au concours pour la tour du journal Chicago Tribune ... de 1922 ! À cette époque, 263 concurrents internationaux avaient postulé sous la forme d'un simple dessin en perspective.
Presque un siècle plus tard, le langage architectural a évolué, tout comme les supports de présentation : ici, ce sont seize maquettes de 5 mètres de haut qui scandent une des pièces du Cultural Center, et qui, prises ensemble, sont autant de l'ordre de la tour que de la colonne.
Un catalogue de styles in situ, reflétant les explorations formelles, spatiales et matérielles contemporaines, des cadavres exquis d'un archétype de la construction. Les tours signées Tatiana Bilbao, Francis Kéré, Christ & Gantenbein, Sam Jacob Studio et Serie Architects sont parmi les plus enthousiasmantes. D'autres projets soulèvent ce même enchantement : dans un des banals couloirs du Cultural Center, le détournement du principe du mur-rideau si cher à Mies van der Rohe - décidément très (trop ?) présent - par l'agence colombienne AGENdA est un vrai moment d'espièglerie architecturale.
L'étude de cas de l'agence belge Dogma est tout aussi exaltante : leurs croquis de chambres de personnalités à travers les âges redonnent toutes ses lettres de noblesse à cette pièce qui est « peut-être la forme la plus évidente d'architecture », dixit les architectes. Citons également les projets de Toshiko Mori Architect, MALL et HHF Architects qui voient dans le toit - encore un symbole fort de l'architecture - un lieu d'expérimentations, et celui de Stan Allen Architect qui imagine de nouvelles applications à l'historique structure du « balloon frame ». D'autres projets liés à cette Biennale sont éparpillés dans Chicago, à l'image des installations de François Perrin au majestueux Garfield Park Conservatory, du spectacle de danse haut en couleurs imaginé par l'architecte Jeanne Gang et le musicien Nick Cave à Navy Pier, ou l'exposition collective « Hors les murs » organisée par le palais de Tokyo qui réunit treize artistes au sein de la Roundhouse - ancien bâtiment de la garde montée - et explore les multiples relations entre art et architecture.
« Make New History » offre donc un panorama dense, complexe, ludique et cérébral d'un métier en pleine mutation. C'est une Biennale dans l'air du temps mais qui peut aussi frustrer ironiquement par son manque de « nouvelles histoires », mais aussi d'humains, dont la quasi absence, ne serait-ce qu'en arrière-plan, interpelle.
C'est donc une Biennale qui interroge, réjouit et désarçonne tout à la fois. Mais n'est-ce finalement pas là tout le sel et l'objectif d'une telle manifestation ?
► Article paru dans Architectures À Vivre 98 : Maisons inventives ( novembre-décembre 2017)