Jeudi dernier, le monde a accueilli avec stupeur la mort de l’architecte anglo-irakienne Zaha Hadid. Sa flamboyance et l’extravagance de ses bâtiments l’avaient déjà habituée au devant de la scène : la Dame Zaha avait ses fans et ses détracteurs bien au-delà du cercle des initiés. Alors sa disparition soudaine, encore jeune, a frappé les esprits et les médias. Il est un lieu où la nouvelle s’est révélée plus vibrante encore : Twitter, où l’information a entraîné d’innombrables tweets, retweets et commentaires, tout en images, en liens, en témoignages. C’est un lieu public peut-être plus affectif que les autres, parce que spontané et viral, un espace de discussion laconique certes, mais non dénué de savoirs architecturaux.
31 mars 2016, 17.17 : la nouvelle tombe via JFD @degioanni, important contributeur de la #teamarchi, le hashtag qui allie la communauté architecturale française sur le médium. Il s’agit d’un retweet d’une information parue 1 minute plus tôt sur Architects Newspaper @archpaper. La BBC l'aurait annoncé. Le doute surgit malgré tout, mais plusieurs retweets du même auteur suivent dans le quart d’heure : de revues spécialisées anglo-saxonnes et de médias francophones généralistes en passant par les fils continus d’information. La nouvelle est confirmée par l’agence, apprend-on. Zaha Hadid a succombé à une crise cardiaque des suites d’une bronchite, dans un hôpital de Miami.
Comme à l’usuel en de telles circonstances, l’information fera place à une avalanche de témoignages. L’affection et la reconnaissance des amis starchitectes :
Des réactions des confrères du firmament que la presse spécialisée en ligne prend soin de compiler et de retweeter :
Mais c’est l’émotion des autres, connus et moins connus, architectes ou non, qui amplifiera l’information jusqu’à propulser #ZahaHadid « 7e trend topic » de la sphère Twitter. Faut-il y voir un signe, se demande-t-on ?
Les témoignages mettent en avant la reconnaissance des pairs :
Des admirateurs de tous bords :
… jusqu’aux communicants de politiciens (ici Juppé)…
En passant par l’ancienne ministre de la Culture et de la Communication :
Mais pas... par la nouvelle : le compte d’Audrey Azoulay reste silencieux – à titre de comparaison, quelques jours plus tôt, l’écrivain Jim Harrison, le « fervent défenseur de la cuisine française » Jean-Pierre Coffe et le même jour, le Nobel de littérature Imre Kertész ont tous eu droit à un tweet.
Entre deux témoignages émus, Twitter fait aussi place aux jeux de mots, références ciné (Pulp Fiction) et autre art du décalage, propres à la spontanéité du média et à sa culture visuelle – veille qui plus est de premier avril :
D’autres adoptent un humour plus sagement porté sur l’éloge :
D’emblée, certains hommages prennent le format d’une collection d’images, avec un GIF particulièrement apprécié et retweeté :
Puis au bout de quelques jours, un album Pinterest très fourni qui restitue en images la production architecturale de Hadid, un tweet tout autant apprécié et partagé :
Même ses propres bâtiments lui tirent la révérence (ici, le Riverside Museum à Glasgow) :
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UNE FEMME ARCHITECTE
On sait mieux depuis une semaine tout ce que le genre de Zaha Hadid lui posait comme problème : si elle ne déniait pas sa féminité – ses photographies l’attestent – elle voulait être reconnue comme architecte, avant tout. C’est pourtant largement sur ce thème qu’elle sera honorée à l’heure de sa mort en France comme ailleurs, à commencer par nous-mêmes.
Pourtant, la BBC, la première, a assez vite rappelé le leitmotiv de Zaha Hadid sur la question, au travers de mots qu’elle aurait souhaité adresser à la petite fille qu’elle était [« Ton succès ne sera pas déterminé par ton genre ni par ton appartenance ethnique, mais seulement par la portée de tes rêves »]. Citation là encore très partagée sur le fil Twitter.
Beaucoup de messages commentent la disparition de l’architecte en rappelant sa posture vis-à-vis de son sexe :
Si certaines racontent comment la star savait aussi mettre à l’épreuve les femmes qu’elle rencontrait :
D’autres insistent sur le modèle qu’elle représente :
Ou mettent en perspective le sexisme dans la profession :
Dans beaucoup d’exemples comme ici, la mort de l’architecte amène les journalistes à rappeler la place des femmes dans la profession et notamment à avancer des chiffres : si la population de l’American Institute of Architects était composée en 2013 pour moitié d’étudiantes, les femmes ne représentent que 18 % des concepteurs en exercice et 5 % des positions managériales en agences. D’où « l’anomalie » que représente Zaha Hadid, selon Wired.
Même en cartoon, c’est un personnage jouant de sa spécificité féminine au beau milieu d’hommes qui représente l’architecte et rappelle son isolement :
En France, l’article signé de F. Edelmann dans le Monde qualifiant la disparue de « lionne faite architecte » est le plus apprécié et retweeté :
Seul un contributeur épingle le caractère sexiste de certains passages portant sur le physique de l’architecte décédée.
Son « appartenance ethnique », l’autre front de défense de l’architecte, semble beaucoup moins relevé dans les articles et dans les tweets, chez les français et ailleurs.
La disparition de Zaha Hadid sur Twitter, c’est surtout la mise en partage d’un grand nombre de photographies de la star. Bien au-delà des deux portraits officiels proposés par l’agence ZHA aux rédactions (celui en majesté et un autre, en noir et blanc, qui la montre plus douce), le média social présente quantité de facettes de l’architecte :
- enfant entourée de ses parents devant la fontaine de Trevi :
- en pop star à la chevelure rebelle, qui l’instaure en femme fatale et libre. Comme pour rendre honneur à la photogénie et au style travaillé de la Dame (le portrait qui suit est son préféré, apprend-on).
- la plupart la présente ceci dit sous un jour plus ordinaire (des portraits auxquels les twittos et médias français semblent plus sensibles d’ailleurs) :
- plusieurs photos la montrent étudiante, quitte à l'associer artificiellement à un Rem Koolhaas encore chevelu – son ami et professeur à la AA School :
- puis un peu plus âgée, dans les bras de Frank Gehry :
Le récit visuel semble vouloir réinscrire la femme dans une histoire ordinaire avant… de l’inclure dans le cercle des autres grands noms de l’architecture, pour rappeler leur amitié mutuelle autant que valider leur appartenance commune à un club à part.
- Un seul selfie en duo, réalisée par une journaliste :
- Quelques portraits la montrent architecte, dans son agence, devant un de ses bâtiments, la Serpentine Sackler Gallery de Londres (2013), ou avec une médaille autour du cou remportée l’an passé.
Très vite, les messages Twitter abordent l’œuvre de l’architecte. Les contributeurs privilégient ce qu’ils aiment et surtout… ce qu’ils ont vu, preuve photographique à l’appui. D’après le comptes français, parmi leurs préférés : Le pavillon-musée mobile pour Chanel devant l’Institut du monde arabe (2011) :
La caserne de pompiers du site du fabricant de meubles Vitra à Weil-am-Rhein en Allemagne (1994) :
La médiathèque, les archives départementales et l’office départemental des sports à Montpellier (2012), appelé Pierres Vives :
Par contre, la tour CMA-CGM de Marseille (2011) est moins présente (car moins aimée ?).
Dans une lecture plus internationale, le musée Maxxi de Rome (2009) plaît :
Tout comme une exposition sur les formes à la Biennale d’architecture de Venise (a priori l’exposition the Arum Shell présentée à l’occasion de la 13e édition de la Biennale en 2012) :
Bien que controversé, le stade Al-Wakrah du Qatar trouve aussi spontanément sa place dans les projets tweetés. (Les critiques portent principalement sur deux aspects : sa forme jugée par trop… intimement féminine et ses conditions d’édification. Zaha Hadid avait quitté le plateau de la BBC en septembre dernier suite aux questions insistantes d’une journaliste concernant la mort de nombreux ouvriers migrants sur le chantier).
Signalons que l’agence ZHA a mis à disposition de la presse plusieurs dizaines de photographies de bâtiments construits, qui alimenteront la plupart des portfolios rétrospectifs des publications en ligne – aucun dessin dans le panel. Pas de préférence nette entre les bâtiments choisis, les courbes du Centre culturel Heydar-Aliyev en Azerbaidjan (2012) apparaissent deci, delà, tout comme la caserne de pompiers ou le musée Maxxi.
Les twittos isolés rappellent vite, quant à eux, toute leur appréciation de l’œuvre graphique de Zaha Hadid :
Avec certains zooms sur des projets :
Ils sont suivis de quelques medias qui leur emboîtent le pas, proposant notamment une confrontation entre dessins et réalisations :
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MATIÈRE À DISCUSSION
On précise sur Twitter les oeuvres que l’on aime… parce qu’on n’aime pas tout chez Zaha Hadid – on préfère le préciser. Ni dans ses productions :
Ni dans l’esprit :
Ni dans ses prises de position (cette remarque fait suite à la polémique dans laquelle Zaha Hadid a été prise à partie au sujet de son chantier au Qatar) :
La discussion esthétique concerne aussi l'oeuvre graphique de l'architecte : en jeu, la profondeur et force de ses projets dessinés comparées à ses réalisations bâties, « quelque chose d’inédit » mais « pas sans critiques » :
Au-delà des 140 caractères autorisés, Twitter c’est une banque de liens vers des portraits plus construits que les journalistes et critiques ont depuis pris le temps de rédiger, plutôt pour les anglophones.
Twitter est aussi une banque de trouvailles. Ainsi découvre-t-on les tubes appréciés par Dame Zaha – Bryan Ferry, Les Beatles, Simply Red, Oum Kalsoum, notons que les goûts musicaux de l’extravagante artiste se révèlent somme toute… assez classiques.
Deux ou trois mots sur son enfance et rapport à la France :
Sur un plan plus savant, on croise l’évolution de sa production graphique commentée par l’architecte Lebbeus Woods (2009) :
Des portraits d’époque, réalisés par Madelon Vriesendorp, l’illustratrice néerlandaise épouse de Koolhaas :
Twitter nous donne aussi accès aux discours de l’architecte d’ores et déjà archives. Notamment la vidéo d’une conférence prononcée au Southern California Institute of Architecture (SCI-Arc) en 1985 où la jeune Zaha commente son travail et revient sur son passage à la AA School.
Des extraits d’interviews de l’intéressée sur son parcours :
L’entame de son discours lors de la réception de sa Médaille d’or au Royal Institute of British Architects (RIBA), son ultime récompense :
Et après une semaine ? L’emballement s’est calmé, mais la star disparue apparaît épisodiquement dans le flux continu des messages, comme ici où son seul prénom sert à critiquer la sagesse de partis-pris architecturaux parisiens…
Signe que la postérité, si on en doutait, lui est déjà largement acquise.