À l'extrême nord de l'Allemagne, dans la région de la Frise septentrionale, la petite île de Föhr défie la mer du Nord. À quelques encablures seulement de la frontière danoise, c'est un lieu sauvage, à la merci des éléments, étendu sur 12 kilomètres de long pour seulement 6,8 de large. D'épais murs d'herbes le ceinturent pour mieux le protéger des inondations, car 60 % de son territoire se situe sous le niveau de la mer. En contrepartie, l'eau baisse tellement lors des grandes marées qu'il est possible de rejoindre les îles environnantes… à pied ! La diversité de la faune et de la flore, comme la variété des paysages, en font un site particulièrement attractif les beaux jours venus, la population passant de 8 500 âmes l'hiver à près de 40 000 en été ! Si Föhr appartient au pays de Goethe, ses habitants - les Frisons - ont pourtant leur propre langue, culture et patrimoine. Au XVII siècle, une école de navigation y fut fondée pour former de nombreux capitaines de la marine, naviguant ensuite à travers le globe. De leurs périples en Extrême-Orient, ces derniers rapportèrent, entre autres, l'art de la céramique, qu'ils incorporèrent ensuite dans leur propre tradition architecturale. D'ailleurs, dans les maisons en briques et toits de chaume typiques de l'île, des murs de salle à manger abondamment décorés prouvaient à l'époque la richesse des habitants.
DES CARAÏBES À LA SUÈDE, EN PASSANT PAR L'ITALIE
C'est sur un bout de ces « Caraïbes de la Frise », comme les surnomment les locaux, que Karl et Åse, couple de suédois retraités, ont trouvé refuge pour leurs vacances annuelles. En aucun cas un hasard, puisque le père de cette dernière, originaire de l'île, lui a légué son ancienne demeure. Seul souci, les lieux deviennent trop étroits pour accueillir à la fois leurs trois enfants et quatre petits-enfants. Ils imaginent alors réaménager les combles, jusqu'ici peu usités. Par chance, l'architecte Karin Matz fait partie de la famille et c'est à elle et l'italien Francesco Di Gregorio, qui ont réuni leurs agences en 2011, qu'ils confient cette rénovation. Leurs demandes sont simples : deux chambres supplémentaires séparées, une cuisine et une pièce de vie pour un étage indépendant.
« Les propriétaires ne souhaitaient pas forcément un lieu “ moderne ”, assure Karin, mais plutôt quelque chose de différent du rez-de-chaussée sombre, petit et cloisonné qu'eux occupaient. »
Le duo cerne vite la problématique principale : avec seulement deux ouvertures en façade, les combles souffrent d'un manque criant de lumière. C'est dans le patrimoine local qu'ils trouvent une solution : « Nous avons opté pour l'utilisation des carreaux de céramique pour leur qualité de réflexion. Ce qui permettait aussi d'inscrire notre projet dans le lieu, son histoire et ses traditions ». 3 200 pavés recouvrent ainsi la quasi-intégralité du mur du fond, donnant son unité à l'étage.
RÉSEAU DE PETIT POIS
Le budget étant serré, et la céramique assez chère, seuls des carreaux standards, sans motifs, sont abordables pour Karl et Åse. Qu'importe, s'ils n'ont pas beaucoup d'argent, le temps ne leur manque pas ! C'est donc le couple qui perce lui-même chacune des pièces en leur centre, afin de laisser apparaître, après la pose, le ciment azur sur lesquelles elles sont fixées. Ce réseau de petits pois colorés crée l'évènement à cet étage, presque entièrement décloisonné. Seules les deux chambres et la salle de bains sont traitées comme des cabines de bateau, alcôves secrètes aux tons traditionnels frisons, mélange de nuances bleu pâle et vertes. Pour entretenir cette atmosphère marine, le bois a été privilégié du sol au plafond, en passant par le mobilier de la cuisine. La métaphore est filée jusqu'au garde-corps de l'escalier menant aurez-de-chaussée et réalisé... encorde-nouvelle solution adéquate pour laisser circuler au mieux la lumière. « Bien souvent, nous ne réalisons qu'après coup ce que nous avons fait, expliquent Karin et Francesco. Nous sommes retournés sur place l'été suivant et avons ainsi mieux pu nous rendre compte de ce que nous avions finalement construit : un navire échoué. ».
► Article paru dans le Hors-série 44 : BEST OF - Maisons d'architectes actuellement en kiosque et disponible sur la boutique en ligne