Aux Chartrons, le négoce de vins puis le commerce colonial font de Bordeaux une ville prospère dès le XVIIe siècle. Déchargées des bateaux, les barriques ou denrées exotiques sont “roulées” sur le quai puis stockées à l'arrière des maisons des négociants dans de très longs chais. Rentabilisation de l'espace oblige, cet urbanisme dense en “lanières” ne laisse pas de place au vide. À partir de 1950, les marchands quittent le port pour la périphérie, laissant de vastes friches industrielles en plein centre de la ville. Trente ans plus tard, celles-ci deviennent le terrain de chasse des premiers lofteurs, comme les propriétaires de cette maison baptisée « M49 ». Pendant vingt ans, ils ont habité un loft industriel de 750 mètres carrés sur cinq niveaux ouverts. Leurs deux aînés partis, seul le petit dernier vit chez eux. Ils décident alors de vivre dans un espace plus réduit (360 mètres carrés) mais « plus conventionnel, avec de vraies pièces ». Avant même d'avoir trouvé l'endroit idéal - qu'ils souhaitent aux Chartrons - le programme est bouclé : une suite parentale, une chambre attenante à un bureau pour leur fils, les pièces à vivre habituelles et... une piscine intérieure.
DEUX PATIOS
Une parcelle de chai de 8 mètres sur 30 attire leur attention. Dans les années 1950 y ont trouvé place un immeuble d'habitation de trois niveaux sur rue et un hangar à usage artisanal à l'arrière. De part et d'autre, des murs en pierre de 8 mètres de haut parlent d'histoire. Décelant les potentialités du site, la famille prend très vite la décision de l'acquérir. Les architectes en charge de la transformation à effectuer sont déjà choisis : il s'agit d'un jeune duo, diplômé en 2006 de l'École d'architecture de Bordeaux, Charles Sarthou et Béba Michard. Première et essentielle étape à franchir : amener de la lumière naturelle en cœur de parcelle. Conservé, l'immeuble sur rue est investi en rez-de-chaussée comme garage et local technique pour la piscine. Les étages seront progressivement aménagés par la suite. Exposé sud-ouest, ce bâti freine en partie l'ensoleillement vers l'intérieur du terrain, surtout en hiver, quand le soleil est rasant. Qu'à cela ne tienne, le trajet des rayons va être exploité comme une boule de billard ! Après études, les architectes constatent en effet que ces derniers frappent le haut des héberges avant d'être renvoyés en cœur de parcelle, par ricochet. Mis à nu et nettoyés, les murs du chai qui constituaient un handicap deviennent dès lors un allié. Détruit compte tenu de son état, le volume du hangar est remplacé par un nouveau bâtiment sur deux niveaux. Deux patios y sont réservés pour accueillir lumière et ensoleillement, désormais retrouvés.
À l'étage, les chambres donnent sur une terrasse qui surplombe le petit patio du rez-de-chaussée. L'ouverture sur le ciel est alors généreuse, entre les murs en pierre calcaire qui rappellent l'histoire du lieu.
DEUX BANDES ACTIVES
Au rez-de-chaussée, la maison est organisée en deux bandes longitudinales suivant la forme étirée du chai. Chacune abrite des pièces spécifiques : d'un côté, la bande loisirs consacrée aux patios et à la piscine intérieure, totalement protégée des vues intrusives. Cet espace est celui où l'on se détend longuement dès l'arrivée des beaux jours : à l'ombre de l'érable pour bavarder, autour d'une table pour partager un repas en ouvrant grand les baies de la cuisine. Last but not least, c'est ici que l'on passe furtivement en hiver pour gagner la piscine aux couleurs changeantes même si le thermomètre extérieur affiche une température négative ! À côté de cette partie de la maison dédiée à la détente du corps et de l'esprit, la bande habitation accueille les pièces de vie. Tout d'abord, l'entrée puis la cuisine et le séjour en fond de parcelle pour en préserver l'intimité. À l'étage, les chambres donnent sur une terrasse qui surplombe le petit patio du rez-de-chaussée. L'ouverture sur le ciel est alors généreuse, entre les murs en pierre calcaire qui rappellent l'histoire du lieu. Piquée et ravalée, cette pierre typique de Bordeaux ponctue l'ensemble de la maison de sa blondeur et de sa plasticité rugueuse. L'effet de contraste n'en est que plus agréable avec des surfaces modernes comme le ciment enduit du sol, le plaquage en bois africain sur l'îlot technique central de la cuisine ou encore le bardage extérieur en zinc. Cette transformation remporte le pari, toujours difficile bien que maintes fois abordé, d'un travail conjugué sur le recyclage, la profondeur et l'évidement. Il en résulte un véritable paysage intérieur, prometteur pour le duo Sarthou-Michard et surtout source de plaisir pour ses occupants...
Article paru dans le Hors-série 36 : Lofts et maisons de villes
⇒ Lire l'interview de Béba Michard-Castagné et Charles Sarthou au sujet du projet