Face à l'Opéra Garnier, Vincent Parreira, créateur de l'agence AAVP, s'est attelé à la réhabilitation d'un ancien atelier de photographie du XIXe siècle en mauvais état, logé au sommet d'un immeuble haussmannien. De l'aveu même de l'architecte, « le lieu aurait survécu à n'importe quel projet ». En effet, la puissance y est saisissante : un rapport frontal au bâtiment de Charles Garnier, un face-à-face déroutant avec un luxueux hôtel en vis-à-vis, une lumière crue qui balaye le dernier niveau, les toits de Paris à portée de main. Il suffit de pousser la porte pour être happé par la vue. Il fallait néanmoins faire preuve de subtilité pour ne pas céder à la facilité.
SORTIR DU CLASSIQUE
L'accès s'effectue par l'escalier de service et l'étroit couloir qui menaient autrefois aux chambres de bonnes, un principe de distribution hérité du Second Empire. Aujourd'hui, les lieux ont laissé place à deux duplex contigus occupant le R+6 et le R+7, en proue sur le prestigieux Boulevard des Capucines. Au regard de leur positionnement, les deux appartements sont dotés d'une personnalité distincte : l'un, largement mono-orienté, est destiné à la location touristique et traité comme une suite d'hôtel ; le second, traversant et aménagé de façon plus traditionnelle, est occupé par un membre de la famille des propriétaires. Tous deux obéissent néanmoins à la même répartition des pièces : chambres et salles de bains au niveau bas, pièces de vie généreuses et ouvertes à l'étage. « Nous avons eu carte blanche » , confie Vincent Parreira, fort d'une relation excellente avec le maître d'ouvrage. L'architecte, qui ne faisait plus beaucoup de projets d'habitat privé, s'est laissé séduire par cette commande singulière : « Je me suis mis en tête de faire sortir le client de la vision classique qu'il avait de l'appartement, de lui proposer des dispositifs différents de ce que l'on a l'habitude de voir ».
« Nous avons choisi chaque élément comme une oeuvre d'art . » - Vincent Parreira, architecte
REPENSER LA TYPOLOGIE
Par sa vocation, le duplex destiné à la location touristique autorisait une plus grande liberté. Au niveau bas, la notion de cloisonnement traditionnel est délaissée au profit d'un lieu entièrement ouvert afin de conserver l'intégrité du volume. La chambre peut ainsi être séparée ou non par un voilage léger et diaphane. La douche est, elle, abritée derrière des miroirs sans tain. Entre les deux, un espace où trône un bureau signé Jean Prouvé, prescrit par Vincent Parreira tout comme le reste du mobilier soigneusement sélectionné. « Nous avons choisi chaque élément comme une œuvre d'art » , appuie-t-il. Ici, exit le superflu, place aux matières qualitatives et aux détails soignés : parquet en chêne massif constitué de larges lattes, grès cérame marbre dans la salle de bains, luminaires encastrés, bloc technique intégrant le ballon d'eau chaude et les toilettes pour que rien ne vienne rompre la lisibilité de l'espace. À l'étage, auquel on accède par l'escalier d'origine rénové, même attention apportée à ce qui ne se voit pas et aux matériaux : sonorisation et éclairage incorporés, télévision - élément honni par l'architecte ! - nichée dans un grand meuble de rangement qui dissimule aussi une porte dérobée reliant les deux appartements, rideau en cuir pour séparer la petite cuisine de la grande pièce de vie qui occupe la quasi-totalité de l'étage.
VERRIÈRE CONTEMPORAINE
« Être emporté par le ciel » : c'est ce qui a guidé Vincent Parreira pour concevoir ce projet.
Une grande verrière coiffe ainsi les deux appartements, minutieusement dessinée et calepinée pour maximiser les surfaces vitrées. Les profilés se retournent ainsi a minima en façade afin de libérer de larges vues sans obstacle, excepté pour les ouvrants. La structure arachnéenne de la verrière est réalisée en profilés acier - noir en extérieur, blanc à l'intérieur - supportant des doubles vitrages auto-nettoyants tandis que le reste de la couverture est en zinc. Des stores extérieurs garantissent la protection solaire de ce lieu très exposé. Le dialogue avec les architectes des Bâtiments de France s'est avéré délicat. « Il a fallu beaucoup d'énergie pour mener à bien le projet, explique Vincent Parreira. Nous avons effectué un travail de relevé sur tout le Boulevard des Capucines pour recenser toutes les extensions, y compris les moins heureuses, et montrer la superposition hétéroclite des différentes époques. C'était difficile de faire accepter qu'on ne retrouve pas les menuiseries d'antan. » De fait, le permis fut long à obtenir. L'esprit de la verrière ancienne est néanmoins bel et bien là, traduit dans une écriture contemporaine, à l'image d'un projet qui a su s'affranchir de toute pression historique spécieuse pour mieux révéler l'âme des lieux.
FICHE TECHNIQUE
♦ architecte Atelier Architecture Vincent Parreira (AAVP)
www.aavp-architecture.com
♦ coordinateur des entreprises Barthelemy Rénovation
♦ localisation Paris (2e ) / livraison 2016
♦ bâtis d'origine 1880 (immeuble) et 1899 (atelier de photographie)
♦ études 12 mois / travaux 18 mois / surfaces 82 + 78 m² SP
♦ matériaux profil acier (verrière) / cuir (rideau) / bois massif et composite (mobilier, menuiserie) / béton Marius Aurenti (sols, sanitaires) / chêne brut traité (planchers) / bois mélaminé (caisson cuisine) / grès cérame émaillé motif Marbre Calacatta (cuisine et douche, revêtement mobilier, sol, mur, plafond)
♦ fournitures assise et rideau cuir Silva Créations / store Ferrari / luminaires Viabizzuno / appareillages électriques Luxonov / vasques Boffi/ évier Franke / parquet chêne Autrement Les Sols