Vous fêtez cette année le dixième anniversaire du studio. Pourquoi « dix fois un an » ?
Parce que nous avons fait le choix de ne pas nous spécialiser. L'éventail de projets sur lesquels nous travaillons est très ample : aménagements d'hôtels, de bureaux, de résidences privées, direction artistique et design global de la marque de literie Tediber, dessin d'objets pour l'édition, flaconnage… À notre sens, le design est d'abord une approche, une façon de questionner notre environnement. L'idée étant de ne pas repasser deux fois dans le même sillon. Nous nous sommes rencontrés à Strate Colle-ge, après avoir chacun suivi une autre formation [ingénieur pour l'un, physique pour l'autre, ndlr], et nous connaissions finalement peu le design. Mais à ce mo-ment-là, au début des années 2000, le design hollandais émergeait, à travers des groupes comme Droog, avec des pièces incroyables, très conceptuelles. En France, les RADI designers faisaient des propositions en dehors des sentiers battus, quand les Bouroullec dessinaient des algues pour Vitra. Tout le propos philosophique, anthropologique, qui sous-tendait ces projets nous a passionnés. Nous avons compris que ce métier, dont nous n'avions qu'une idée très vague, était chargé de sens.
D'où cette approche un peu darwiniste ?
À la fin de nos études, nous avons en effet exploré l'idée d'un darwinisme des objets. Et toutes ces réflexions nous nourrissent encore aujourd'hui. Au fond, l'homme est aux objets ce que la nature est aux espèces : un environnement. Ainsi, si ce dernier évolue, pour des raisons technologiques ou autres, nous nous demandons constamment comment l'objet peut évoluer pour survivre et être plus fort, comme les espèces dans la nature, qui s'adaptent au climat, développent des stratégies de dissimulation, etc. Cela nous a amenés à développer une approche contextuelle, en tentant de nous renouveler à chaque fois, quelle que soit l'échelle. Pour nous c'est aussi la condition de la durabilité de ce que nous dessinons. Une manière d'aller à l'essentiel tout en diversifiant nos approches. Celles-ci peuvent être littérales, comme dans la collection Radiations, où il était question d'atrophies, de mutations positives et négatives, et des impacts de ces dernières sur la fonction. Parfois nous explorons la dimension affective, comme avec Objects of Sound, ou encore la mémoire collective des formes, les archétypes.
Comment, selon-vous, favoriser cette « dimension affective » ?
Comment créer du lien entre les objets et nous ? Pour Objects of Sound en 2009, par exemple, nous utilisions un logiciel de modélisation guidé par les intonations de la voix. L'originalité du timbre générait un contour, auquel nous appliquions une révolution en trois dimensions, puis le volume était imprimé en 3D. Ainsi celui qui possédait l'objet en était plus au moins l'auteur. Ce lien personnel assurait une forme de durabilité. La collection de vases Trapped pour Serax, même si elle relevait d'une approche différente, poursuivait cette réflexion. Quelle quantité minimale d'informations doit être donnée formellement pour faire comprendre un usage ? Ici, toute la forme du vase est cachée dans un cylindre. Seul le col dépasse ; il permet de reconnaître l'objet, tout en laissant à l'imagination de l'utilisateur le soin de reconstituer le reste. Les archétypes restent un catalogue de références communes qui créent de la familiarité. Si le design nordique a autant de succès aujourd'hui, c'est justement qu'il sait explorer ce registre avec beaucoup de subtilité. On dit souvent que la forme suit la fonction : c'est juste, et cette façon de travailler nous pousse à vouloir dessiner des projets atemporels, à échapper un peu à la mode.
► Entretien paru dans Architectures À Vivre 109 : Mini surfaces Maxi inventions !