Le Kuccini. C'est là, dans cet aimable et convivial restaurant italien situé au 165, rue Saint-Denis, dans le 2e arrondissement de Paris, qu'une cliente a ses habitudes. Si la carte et la qualité des plats justifient qu'elle y revienne souvent, elle n'est pas non plus indifférente à l'architecture des lieux. Un jour, elle demande au propriétaire les coordonnées de l'agence qui s'est occupée de la rénovation ; elle-même habite, dans le 10e arrondissement, un duplex qui mériterait quelques travaux. Situé aux deux derniers niveaux d'un immeuble haussmannien, l'appartement d'environ 170 mètres carrés souffre en effet de quelques défauts, dont certains typiques des biens issus de la réunification de plusieurs lots. L'étage est par exemple desservi par deux escaliers : un privatif, et un second, commun, positionné au centre du duplex. Un doublon synonyme de perte de place et surtout de circulations complexes. En revanche, l'appartement est en bon état ; mieux, il ne manque ni de cachet ni de source de lumière, grâce notamment à la présence d'une grande verrière offrant une belle vue sur les toits voisins. Pourtant, là aussi, le bât blesse, puisque cette sorte de véranda est séparée du salon attenant par une série de poteaux en bois positionnés au droit de l'ancienne façade. C'est donc ainsi, grâce au patron du Kuccini, que la cliente fait la rencontre des architectes Nicolas André, Julie Lafortune et Matthias Nésius de l'agence LANAA. Ils ont carte blanche pour recoudre le bien, lui offrir toute la cohérence et la fluidité d'usage qu'il mérite.
VOLÉES SUPERPOSÉES
Lorsque le trio s'empare du projet, les maîtres d'ouvrage ont d'ores et déjà obtenu un accord de principe de la part de la copropriété pour acquérir la dernière volée de marches située dans les parties communes, et ainsi l'intégrer à leur appartement. La porte d'entrée est donc déplacée, l'autre escalier - le privatif -, supprimé. Mais cela n'est pas sans conséquences, comme l'explique Nicolas André : « La modification d'un palier entraîne tout un tas de complications : il faut redéployer les réseaux collectifs, comme la fibre, qui se retrouvent de fait dans des parties désormais privatives. Ici, il a par ailleurs fallu sécuriser l'ascenseur existant avec un système de clef. Ce sont autant de postes que l'on ne voit pas, mais qui engloutissent une part non négligeable du budget. C'est la partie immergée de l'iceberg que les clients ne mesurent pas toujours. » À ces contraintes logistiques s'ajoute également un autre problème (littéralement) de taille. « De style haussmannien, l'escalier issu des parties communes était très imposant, très confortable, trop même, pour un appartement, où il vaut mieux qu'il soit plus pentu et plus étroit », argumente l'architecte. Surprise : Nicolas André et ses compères proposent alors d'amoindrir cette circulation en construisant… un autre escalier, littéralement superposé sur celui existant ! Plus raide, il est de fait plus court, permettant de réduire la trémie à l'étage pour gagner quelques mètres carrés. Et puisqu'il est complètement détaché de son grand frère préservé et « caché » en dessous, il suffira de le supprimer pour retrouver l'escalier d'origine, au cas où les propriétaires décideraient un jour de re-diviser le duplex.
BUDGET MESURÉ POUR EFFETS DÉMESURÉS
Si l'appartement ne laisse aujourd'hui nullement deviner qu'il est issu de la réunification de différents lots, ce n'est pas seulement grâce à un habile jeu d'escaliers. Un lourd travail sur les volumes, la lumière et les matériaux contribue également à lui donner tout sa cohérence. Entre le séjour et la verrière existante, une poutre métallique d'environ 7 mètres de long (composée en réalité de trois tronçons acheminés à dos d'homme et assemblés sur place) remplace les poteaux de bois qui soutenaient autrefois la toiture. Juste après l'entrée, en dessous de fenêtres de toit déjà présentes, le percement d'une trémie optimise la circulation des rayons du soleil tout en reliant visuellement les deux niveaux. Là, « une sorte de seconde peau composée de grands châssis en chêne et de vitrages translucides masque les ouvertures existantes superposées donnant sur la cour voisine, lesquelles auraient pu donner une impression désagréable, puisqu'elles n'avaient pas vocation à être embrassées d'un seul coup d'œil » , explicite le concepteur. Au plafond, des voûtains en contreplaqué - un dispositif également employé par l'agence dans le restaurant Kuccini - subliment la double hauteur : « C'est beaucoup d'effet pour peu d'argent dépensé » , se félicite Nicolas André. Car la gestion intelligente des coûts est aussi l'une des clefs de la réussite de ce projet. Et l'architecte de conclure : « Malgré les apparences, les travaux n'ont pas coûté une fortune. Cela tient beaucoup au fait de tirer parti des qualités existantes, tout en identifiant bien, avec les maîtres d'ouvrage, les postes qui méritent vraiment leur part du budget. »