Quand il s’agit de concevoir leur lieu de vie, certains – souvent les plus fortunés –préfèrent s’en remettre totalement à un architecte qui saura traduire leurs attentes, jusqu’à choisir leur mobilier. Dans le très chic 16e arrondissement, sur la non moins huppée avenue Victor-Hugo, un couple d’Américains achète un appartement dans un immeuble haussmannien pour en faire son pied-à-terre. Tous deux la cinquantaine, lui travaille dans la musique, elle est femme d’affaires.
Les propriétaires découvrent l’architecte Frédéric Berthier par hasard, par le biais d’un restaurant situé à proximité de son agence. Séduits par son travail, ils lui demandent de redonner vie aux 135 mètres carrés acquis en mauvais état et très cloisonnés. Parmi les prérogatives des clients figurent celle d’un espace le plus ouvert possible, et d’une cuisine qu’ils considèrent comme un élément central de leur vie quotidienne. Ils aiment préparer les repas, recevoir leurs amis à dîner et y passent ainsi beaucoup de temps.
Toutes les partitions superflues et les nombreux placards existants sont supprimés pour ne laisser place qu’à l’essentiel : un grand volume, lumineux et élégamment proportionné.
Seuls sont conservés les éléments importants tels la façade vitrée et le très beau plafond à moulures. Pour donner du caractère à cet appartement, Frédéric Berthier a joué sur une forte présence du noir, inspirée par le piano et mise en contraste par l’utilisation massive du blanc. Les deux valeurs sont déclinées dans la totalité de l’habitation, jusque dans les moindres détails. Le budget très confortable des clients (environ 4800 euros par mètre carré) se traduit par l’emploi de matériaux sophistiqués, impeccablement mis en œuvre. Les sols convoquent tantôt du chêne teinté noir, tantôt du Corian® blanc. Les poignées sont en laiton patiné, les vasques et la douche en granit du Zimbabwe, et le cuir est aussi présent. Si la cuisine légèrement surélevée semble mise en scène, cela résulte pourtant d’une situation préexistante où cette partie de l’appartement se trouvait en léger contre-haut. Occasion parfaite pour donner une place de choix à cette pièce structurante ! Ouverte de part et d’autre, elle s’articule autour d’un îlot central blanc, où deux éviers symétriques se font face. Les clients ont laissé une grande liberté à l’architecte. Plus qu’une simple rénovation, la mission confiée à Frédéric Berthier portait également sur le mobilier dont il a dessiné l’essentiel. Du canapé à la suspension de la cuisine en passant par les tables basses, l’appartement porte la signature de l’épure qui réinvente les codes haussmanniens avec sophistication.
Trois questions à Frédéric Berthier :
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Quelle a été votre première impression lors de la découverte de l’appartement ?
Il était en très mauvais état, on devinait seulement les plafonds en partie cachés et la cheminée. Dans cette situation, on a vraiment le sentiment de travailler comme un restaurateur de tableaux, l’idée étant de redonner à l’endroit son lustre d’antan, de révéler ses qualités qui ont été occultées par des prédécesseurs peu inspirés.
Les clients vous ont laissé assez libre. Comment se sont déroulés les échanges ?
Au départ, ils m’ont donné quelques recommandations. Ils sont musiciens et adorent cuisiner : la cuisine devait être un point central, le piano également. Il fallait pouvoir être à table et regarder quelqu’un jouer, tout en fumant de gros cigares… Le cigare a impliqué un système de ventilation double flux très efficace qu’il a été difficile d’intégrer dans un appartement comme celui-ci, presque vide, où tous les détails techniques peuvent très rapidement apparaître comme des verrues. Quatre semaines plus tard, je leur ai montré le projet en tenant compte de toutes leurs envies, sous forme d’images 3D hyperréalistes de tout l’appartement, dans ses moindres détails, ainsi que des échantillons de tous les matériaux. Ils ont validé le projet, sont retournés à New York et revenus six mois plus tard avec leurs valises : tout était prêt.
Comme traduit-on la personnalité des clients dans un appartement ?
Avant de démarrer le projet, je leur demande un petit travail préalable où ils partagent leurs goûts, me montrent ce qu’ils aiment, m’expliquent comment ils vivent, s’ils reçoivent beaucoup ou non, quelle musique ils écoutent, quel sport ils pratiquent, s’ils ont des enfants… Plus j’ai d’informations, plus l’appartement sera le leur et non le mien. Ici, tout est très précis. Les choix que nous avons faits exigent des usagers extrêmement soigneux, ce qui leur correspond très bien, mais ne conviendrait sûrement pas à d’autres. Un projet est réussi quand la personnalité des clients se ressent fortement dans leur logement.
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► Article paru dans le Hors-série 34 spécial Créations françaises
FICHE TECHNIQUE
♦ architecte Frédéric Berthier
♦ localisation Paris (16 e) / livraison 2015
♦ bâti d’origine XIXe siècle
♦ études 8 semaines / travaux 7 mois
♦ surface 135 m² SHON
♦ matériaux sols chêne teinté noir / peinture blanche, laque mate Guittet / placards et agencement chêne teinté noir / poignées laiton patiné noir / douche et vasques granit noir du Zimbabwe / cuisine Corian® / sol blanc Corian® / cuir blanc / tapis soie noir / tête de lit, banquette, etc., flanelle bleu marine
♦ équipements cuisine Boffi / éclairage spots Viabizzuno / robinetterie Dornbracht / stores Silent Gliss / tabourets BassamFellows en noyer / fauteuil cuir noir du salon Poul Kjærholm / lampadaire salon et appliques chambre Christian Liaigre / chaises salle à manger Wishbone de Hans Wegner / table, canapé, tables basses, banc, bureau, suspension cuisine, etc. dessinés par l’architecte