L'hôtellerie casse ses codes, empruntant à nos espaces domestiques. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ?
Pour des raisons contextuelles et technologiques, l'hôtellerie se remet en question, éclate ses codes, repense tous ses process, et avec eux, la fonction des espaces, collectifs ou privatifs, au profit d'usages pluriels et de la création d'univers à géométrie variable. À mon sens, un hôtel est un laboratoire de nos modes de vie. Tous les usages quotidiens s'y expriment, avec une touche de rêve. Ces lieux révèlent ainsi nos attentes, nos besoins aussi, qu'il faut traiter avec subtilité. Ils ne sont pas non plus imperméables aux modes. La haute couture par exemple, a vécu une révolution sous la houlette de créateurs comme John Galliano, qui a déteint sur notre façon de nous habiller. Un hôtel est aussi le réceptacle de cela. Il faut identifier des tendances de fond - je lis beaucoup d'analyses sociologiques par exemple -, l'esprit d'une époque, que l'on traduit dans les espaces, avec des matières, des textures, des gammes colorées ou encore le choix du mobilier. Il faut donner du sens à tout cela, en dehors de la pure esthétique. Le résident, comme l'habitant, a besoin de comprendre le lieu, de créer un lien avec lui, de se l'approprier.
Quelle influence ces changements ont-ils sur les fonctions et le statut d'un espace aussi intime que la chambre ?
Dans ces nouvelles approches, même si la chambre n'a plus l'air centrale, elle bénéficie de ces bouleversements, et n'en est pas à sa première révolution. Aujourd'hui, elle reste concentrée sur le confort de la literie, mais se réinvente, en relation avec les mutation sociétales et d'usages des parties communes. Ainsi, reconsidérer l'espace nuit comme un lieu de vie mérite une attention particulière, à une échelle plus petite, avec une dimension plus personnelle et intime. Le numérique par exemple, redéfinit entièrement l'espace-temps. La chambre s'adapte, en étant moins figée, un peu comme dans le monde du travail. Elle devient multi-usages, avec autant de fonctions et de scénarios qu'il y a de goûts, de cultures, de générations aussi. Le lit est en soi un sujet d'étude. Il devrait être beaucoup moins haut, d'abord pour redonner du sens à la dimension horizontale, mais aussi pour désencombrer l'espace et ouvrir le regard sur des scènes satellites. Le bureau collé contre le mur disparaît au profit d'une petite table plus polyvalente. L'éclairage est très soigné… À l'instar de la salle de bains, souvent attenante, elle est aussi un lieu de ressourcement, d'apaisement et cela doit ressortir dans l'aménagement, mais aussi dans les couleurs et les matières mises en œuvre.
Comment traduire toutes ces dimensions par les matières et les couleurs, justement ?
C'est une alchimie subtile à trouver, entre des aspects pratiques et conceptuels. Le contexte paysager, culturel, historique, et bien évidemment architectural est essentiel. Il donne le ton, permet de dérouler un fil rouge cohérent et spécifique. Les tissus et les revêtements offrent une palette de base qui permet de diffuser une atmosphère dans le lieu : des textures, des tombés de matière, des gammes de couleurs très fines, en demi-nuances. Tout cela participe activement du ressenti d'un projet, crée une harmonie directe, complétée par les choix en détail du mobilier. L'histoire que l'on raconte se doit d'être à chaque fois singulière.
⇒ Entretien paru dans le Hors-série d'Architectures À Vivre spécial DESIGN !disponible sur la boutique en ligne