Rédigé par Mathieu Fumex et Nadège Mevel | Publié le 03/01/2019
UN PASSÉ HOULEUX
Si Poznań est aujourd’hui relativement méconnue du grand public, la ville était bien présente dans l’esprit des grands dirigeants des XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Aux débuts des années 1790, alors que le royaume de Prusse est en pleine expansion vers l’est et qu’il commence à engloutir la Pologne, la cité est envahie, devenant pour un temps le centre de la Prusse Méridionale. Récupérée par Napoléon Ier (encore très célèbre et apprécié ici), elle est ensuite incorporée au Duché de Varsovie jusqu’en 1815, avant de retomber sous domination prussienne pour devenir capitale du Grand-duché de Posen en 1815, puis de la Posnanie en 1845. En 1939, Poznań est intégrée de force au Troisième Reich. En 1945, c’est au tour des Soviétiques d’y établir leur influence, avant que la ville ne commence, dès 1956, à exprimer ses premières velléités envers le régime communiste, pour finalement obtenir son indépendance en 1989, comme le reste de la Pologne d’ailleurs. Convoitée, ballottée, Poznań est transformée, modifiée, marquée au fer rouge à chaque fois qu’elle connaît un nouvel occupant.
SYMPTÔMES D’UNE QUÊTE IDENTITAIRE
Dans le centre historique, sur la place Stary Rynek (comprendre «vieux marché»), de belles maisons aux façades colorées –bleues, rouges, vertes, et pour certaines bariolées– à l’air médiéval interpellent le voyageur: elles semblent étrangement plus récentes qu’elles ne voudraient le prétendre. Et pour cause… Ce sont en fait des édifices datant de l’après-guerre –la ville a été presque intégralement détruite par les bombardements–, reconstruits à l’image des habitations de marchands qui s’élevaient ici au XVIe siècle. À côté, l’Hôtel de ville, lui aussi en partie reconstruit après 1945, est un mélange de différents styles, de l’époque baroque à la Renaissance. En résulte une esthétique hybride, conçue pour se détacher de l’architecture de la Belle Époque, trop liée à l’occupation prussienne dans l’imaginaire collectif local. Dans les rues, des affiches incrustées dans les murs et vieilles de plusieurs décennies vantent les mérites du communisme et balisent le parcours de l’explorateur en quête des secrets de la cité.
Tout à l’ouest, le Concordia Design Center, lieu branché accueillant un espace de coworking, une salle d’exposition et un restaurant, est installé dans un édifice datant de la première moitié du XIXe siècle où était édité de 1862 à 1939 un journal de propagande anti polonaise… Car à vrai dire, rien, ou presque n’est gratuit dans cette ville.
Rien n’ayant pour seule raison d’être que d’exister. Chaque bâtiment, chaque pierre, chaque monument semble au contraire lourd de sens, portant en lui la trace d’une lutte de pouvoir, celle des Prussiens, des nazis, des Soviétiques et des Polonais, chacun souhaitant à un moment prendre l’ascendant sur l’autre, dans une bataille où l’architecture représentait à l’époque un formidable moyen d’expression… Également implanté du côté occidental de la ville, le château impérial est une cicatrice immuable qui résume à elle seule ce phénomène. Construit au début du XXe siècle pour l’empereur Guillaume II, il est investi à partir de 1939 par l’Allemagne nazie, puis par les soviétiques, chacun y ajoutant son grain de sel au passage…
DES PASTICHES POUR UNE RENAISSANCE
Malgré son histoire complexe et difficile, Poznań surprend par sa capacité à se relever. Aujourd’hui, les pastiches de l’époque médiévale ou de la Renaissance qui caractérisent sa place principale ne choquent personne. Wojciech Mania, posnanien de naissance et géographe, explique ainsi qu’il a toujours connu ces bâtiments. Selon lui, ils appartiennent à la ville et participent pleinement à la définition de son identité. Mieux encore, certaines constructions sortent aujourd’hui de terre sans incarner une quelconque idéologie de manière ostentatoire, comme la Brama Poznania, de l’agence Ad Artis Architects (2013), ou encore la toute récente tour Baltyk, signée MVRDV (2017). Par ailleurs, le tourisme est plein développement: Poznań foisonne ainsi de projets de construction d’hôtels.
Et l’on ne peut que parier sur son succès, tant elle regorge de surprises à découvrir, de lieux insolites et de Posnaniens accueillants et enthousiastes qui ne refuseront certainement pas de trinquer avec vous. Nasdrovia !
⇒ Lire l'article « La Brama Poznania à Poznań »
⇒ Article paru dans le Hors-série 38 : Week-ends d'architecture