Yolanda est graphiste freelance, spécialisée dans la communication visuelle des entreprises « courageuses » comme elle aime le définir. Elle voudrait fonder sa propre agence, pouvoir accueillir ses clients dans un intérieur à l’image de ses créations, originales et pétulantes. L’ancienne maison de sa grand-mère, située au nord de la capitale espagnole où elle songe à déménager, pourrait-elle aussi abriter cet espace professionnel ? Le logement est réduit (45 mètres carrés), mais la cour arrière est grande et l’on pourrait y construire une extension. Découvrant le travail de PKMN architectes lors d’une de leurs conférences, elle est séduite par leur approche et leur soumet son projet. Hélas, le budget imparti est trop faible pour agrandir l’édifice, et il faut vite se résoudre à inclure tout le programme dans le bâti existant.
Maison déployable
Les architectes proposent alors de démolir toutes les cloisons de ce petit trois pièces, et de diviser l’ensemble longitudinalement. Un côté accueille un espace multi multifonctionnel, tantôt studio de travail, tantôt salon, tandis que l’autre est habité par trois armoires massives roulantes suspendues à des rails. Ces modules servent de cloisons amovibles, générant, de gauche à droite, une pièce d’eau, un studio de yoga ou dressing, une chambre à coucher, une salle de réunion et une cuisine/ coin repas. La zone dévolue à ces cinq fonctions ne totalise pas plus de 20 mètres carrés et pourtant, une fois déployée, chaque pièce affiche 6 à 15 mètres carrés : un miracle ! Les modules roulants sont réalisés en OSB traité pour résister à l’humidité. « Nous aimons la texture de ce matériau, explique David Pérez, cofondateur de PKMN, son absence de neutralité et sa façon de trancher avec les autres parois blanches. » Légèreté, résistance et faible coût de ce bois artificiel ont aussi été des arguments de choix. Les armoires sont conçues avec la cliente qui a indiqué aux architectes les différents volumes dont elle avait besoin pour ses affaires, dans quelle pièce elle souhaitait les y trouver et le type d’accès à favoriser (tiroir, placard, étagère, etc.). Le coût élevé de l’immobilier nous forçant à habiter des maisons ou appartements toujours plus petits, et la société de consommation nous persuadant sans cesse d’acheter de nouveaux produits, nombreux sont ceux qui se retrouvent dans des logis pleins comme des œufs, où objets, vêtements et livres s’accumulent là où ils ne devraient pas. Le volume à vivre s’en trouvant fortement dégradé ! La surface dédiée au rangement s’avère alors cruciale. Et au final, Yolanda se félicite de ne pas toute l’utiliser : « Cela me laisse la liberté d’évoluer, d’acquérir de nouvelles choses… ou d’accueillir quelqu’un d’autre dans cette coquille ! » Pour bouger les cloisons, il est nécessaire que tous les placards, tiroirs et autres tablettes soient refermés, ce qui implique la tenue d’un ordre impeccable : « J’aime cet espace affranchi de tout objet, il me permet d’avoir l’esprit libre pour travailler », confie-t-elle. Bien que les modules pèsent chacun entre 500 et 800 kilos, les déplacer ne demande qu’un effort limité grâce au système de rails mis en place, emprunté au monde de l’industrie. Ils peuvent aussi être disposés de façon à être tous accessibles, ou encore toutes les pièces utilisables sauf une.
Protéiforme
Lorsqu’elle souhaite travailler au calme ou accueillir des clients dans son nouvel espace, Yolanda déplace les modules de façon à dégager au maximum la salle de réunion, tandis que son bureau se trouve dans le salon-studio. « Cette grande pièce et la zone de réception constituent son agence, son environnement professionnel », explique l’architecte. Mais le soir venu, si l’occupante des lieux souhaite inviter des amis à dîner, la salle de réunion se rétractera au profit de la cuisine. Les combinaisons sont ainsi nombreuses. C’est dans la partie multifonctionnelle que la propriétaire peut aussi installer son propre mobilier, celui qu’elle ne devra pas bouger en fonction de l’heure de la journée. Les trois petites fenêtres sur cour, enfin, ont été transformées en porte-fenêtres permettant un accès direct de la maison sur l’extérieur. La ligne de démarcation entre le studio de travail et le reste du programme correspond à l’ancien mur porteur qui séparait un salon et une chambre du couloir. Celui-ci est remplacé par un pilier et une poutre en acier sur laquelle est attaché l’un des rails. « Structurellement cela facilitait beaucoup les choses de pouvoir établir la séparation à l’emplacement de l’ancien mur porteur, explique l’architecte. Et cela fonctionnait au niveau des surfaces qui en découlent. » Quelques traces du passé survivent dans cette maison-bureau. Elles jouissent d’une nouvelle vie dans un cadre transformé : les moulures de plafond entourant autrefois des lustres kitsch parent aujourd’hui un luminaire design et un ventilateur performant ; quelques miroirs et une lampe appartenant à la grand-mère de Yolanda donnent un côté néobaroque à l’intérieur ; tandis que plusieurs chaises rétro indémodables s’insèrent parfaitement dans leur nouveau cadre. Au sol, on retrouve l’OSB des armoires pour la partie studio-salon, et un carrelage traditionnel dans les autres pièces, souhait personnel de la cliente : « Ces carreaux permettent d’opérer la fusion parfaite entre l’ancien et le contemporain », indique-t-elle. L’extérieur de la maison ayant simplement été repeint, la surprise du visiteur qui la pénètre pour la première fois est grande. Il passe d’un quartier populaire excentré, essentiellement résidentiel et à la moyenne d’âge vieillissante, à l’intérieur novateur d’une chef d’agence de communication. Pionnière, Yolanda ?