Stephen Wilkes est un magicien de l’image. Sur un seul de ses clichés s’en camouflent en vérité plus d’un millier ! Photographe réputé et largement publié, né en 1957 à New York, il a entamé depuis 2009 un travail singulier. Aux quatre coins du globe, il arpente les sites à la recherche d’un point stratégique. Il positionne ensuite son appareil face au vaste sujet qu’il souhaite capturer, puis, sans jamais changer de point de vue, déclenche plus de 1 500 fois pendant 30 heures d’affilée (quasiment une prise à la minute donc), de très tôt le matin jusqu’à très tard le soir. L’ensemble de ces images est ensuite trié avec soin et juxtaposé sur ordinateur lors d’un travail de postproduction colossal (qui s’étale sur environ un mois et demi) pour, enfin, constituer l’assemblage final : une seule image, aux couleurs saisissantes, à la composition foisonnante, aux cieux emplis d’une lumière insensée et où la journée semble littéralement défiler. Le tableau est en effet un voyage ininterrompu de l’aube au crépuscule – ou vice-versa –, un instant d’éternité qui capture le temps qui passe à un point donné. Le livre Day to Night qui paraît aux éditions Taschen présente ainsi 60 de ces panoramas homériques, créés entre 2009 et 2022, à partir de photos prises dans le Serengeti africain ou depuis la Piazza San Marco, dans le Grand Canyon, sur Trafalgar Square ou les ChampsÉlysées, depuis la place Rouge, le pont parisien de la Tournelle ou les Îles Falkland. Des lieux et paysages iconiques bien souvent, très urbanisés ou totalement perdus en pleine nature, parfois animés par une foule humaine ou le ballet des animaux, toujours spectaculaires. Le résultat : une esthétique étonnante, parfois à la lisière du kitsch il est vrai, mais qui ne manque pas de fasciner. Voire même par moment d’écoeurer, comme lorsque le Grand Canal de Venise se retrouve saturé de gondoles, telle l’heure de pointe sur le périph’ parisien… Par instant, cette approche rappelle aussi le célèbre jeu du « Où est Charlie ? », avec sa profusion de détails qui se dévoilent à chaque nouveau coup d’oeil grâce à cette technique particulière d’assemblage. Car il y a des histoires dans l’histoire, qui confèrent de la personnalité et de la candeur à chaque composition, que ce soient la mariée qui traverse Central Park, les zèbres tanzaniens qui s’assemblent autour d’un trou d’eau pendant une période de sécheresse, ou les surfeurs de Rio de Janeiro qui vont et viennent alors qu’un homme tient une pancarte où est écrit « Pas plus de deux questions par client ». « Ce sont exactement ces petites histoires, ces détails, qui attirent les gens vers ces photos », s’amuse Stephen Wilkes. De l’étude de la phase de shooting à celle du montage, l’homme est aussi d’une patience infinie pour réussir à livrer ces moments suspendus. Mais il a aussi dû attendre, par exemple, plus de deux ans l’autorisation de photographier le pape François pendant la messe de Pâques au Vatican, pour finalement livrer un tableau captivant dans lequel le souverain pontife, qui se déplace au fil de la longue cérémonie, apparaît jusqu’à dix fois ! « L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux », écrivait également Lamartine. Ceux de Stephen Wilkes sont tellement uniques, qu’il semble en effet bien impossible de les oublier.
Mission pour National Geographic, à Bass Roc en Écosse, 2017. |
Grand Canal pour l'assemblée annuelle Venise Regata Storic, à Venise, 2015. |
Brooklyn Bridge Park, 2016.
Les eaux géothermiques du Blue Lagoon,
en Islande, 2019.
Central Park après le blizzard,
New York, 2010.
Albatros à sourcils noirs
à Steeple Jason,
îles Falkland, 2017.