Dès les années 1890, Frank Lloyd Wright développe une grammaire architecturale en rupture avec les maisons alors édifiées dans l’Amérique industrialisée. Ayant grandi dans la ferme de ses grands-parents dans le Wisconsin, il s’inspire des qualités de la vie rurale pour édifier les Prairies Houses (1890-1909), pour l’essentiel concentrées dans Oak Park, en banlieue ouest de Chicago. C’est dans cette ville, qui se reconstruit suite à un terrible incendie, qu’il a établi, dès 1887, son habitation puis son agence.
Horizontalité
Le terme « prairie » fait référence à la topographie en plaine, qui inspire les lignes horizontales étirées de ces habitations alors révolutionnaires dans leur style comme dans leur dimension habitée. Auparavant, il a collaboré avec Louis Sullivan, l’un des auteurs de la première génération de gratte-ciels américains et maître de l’École de Chicago. Parce qu’il dessinait parallèlement des maisons pour ses propres clients, Wright a été viré de l’agence Adler & Sullivan. Une chance finalement pour l’architecte du futur Guggenheim de New York, qui aura pu expérimenter matériaux et spatialités pour des clients aisés. Étrangement, la plus aboutie des Prairies Houses n’est pas dans Oak Park, mais au sud de la ville, à Hyde Park. La Robie House témoigne magnifiquement de l’accentuation de l’horizontalité par ses porte-à-faux débordants. La centralité de sa cheminée, masse maçonnée d’où rayonnent les espaces fluides, caractérise les Prairies Houses. De même, les fenêtres en bandeau établissent un rapport continu entre intérieur et extérieur, jusqu’à la dissolution des angles par la mise en place de vitrages là où l’on attend des éléments structurels. À l’intérieur, l’interpénétration est totale : les hauteurs différenciées proposent une imbrication plus riche des pièces, et des parcours diversifiés. Des dispositifs qui conduisent à des chefs d’œuvre qui sont d’autant plus confortables à vivre puisque, en bon rural, Wright considérait des adaptations aux climats en faisant varier les format des fenêtres selon l’orientation et a mis en place un système de chauffage sophistiqué où les radiateurs sont aussi adaptés aux tailles des ouvertures et des pièces.
Continuum spatial
Suivront de nombreuses autres maisons, tel le programme Usonian Houses (croisement des termes USA et Utopia, 1923-1935), habitations plus abordables pour une Amérique démocratique, dont la Jacobs House, dans le Wisconsin, est le plus brillant témoignage d’invention spatiale, formant un L en plan. Diverses configurations vont caractériser ces constructions qui relèvent aussi de techniques innovantes, tels les murs en sandwich de panneaux de bois faciles à monter. Après les réalisations d’autres ouvrages comme la Ennis House à Los Angeles ou la Falling Water House (1939) dans les Monts Allegheny préfigurée par la Thomas H. Gale House (1909) d’Oak Park, Wright poursuit cette recherche jusque dans les années 1950, avec la Louis Penfield House (1953) à Willoughby Hills (Ohio). Là, il adopte la Korean room, combinaison d’un sol chauffant et d’air conditionné, d’abord expérimentée dans l’habitation tokyoïte du baron Okura, le représentant de l’Imperial Hotel qu’il a construit là bas. La Louis Penfield House, près de la rivière Chagrin, témoigne du continuum spatial avec la nature que Wright met en œuvre et qui est toujours expérimentable puisque la maison peut être louée par des particuliers*. C’est d’ailleurs par le biais de l’architecte française Véronique Descharrières qui y a séjourné récemment, que nous avons pu rencontrer Paul Penfield, fils de Louis, à Paris. Il se remémore : « Quand j’étais petit il n’y avait pas d’arbres sur le terrain. Aujourd’hui, nous avons une belle forêt de cerisiers d’automne tout autour de la demeure, ce qui participe intimement de la vision organique de Wright. Aussi, la maison a été menacée par le tracé d’une autoroute décidé par le gouvernement d’Eisenhower dans l’idée de développer le réseau routier nord américain. Mes parents ont alors sollicité Wright lequel, malgré la surcharge de commandes, leur a répondu : “ Je peux vous concevoir une nouvelle maison”. Des relations épistolaires témoignent des échanges entre mes parents et l’architecte, sans qu’aucun contrat n’ait été rédigé, Wright ayant toujours eu une relation informelle avec ses commanditaires. » Sur la même propriété, à distance de l’autoroute prévue (finalement déviée), Frank Lloyd Wright dessinera la dernière maison de sa vie, jamais réalisée puisqu’il décèdera en 1959. Récupérés sur les planches à dessin de l’agence, les blueprints dont a hérité Paul Penfield ont été transmis à Véronique Descharrières, pour « peut-être un jour la construire » selon ses vœux, en hommage à ses parents comme à l’architecte. Cette seconde Penfield House porte le numéro 5909 (1959, 9e projet ; 5303 pour la première). Elle est l’ultime maison dessinée, une autre portant le numéro 5908. Les deux derniers projets (5910 et 5911) sont attribués à l’université de l’Arizona et au Garden Wall de Taliesin West, dessiné pour Olgivanna Lloyd Wright, la troisième femme du Maître.