Rédigé par Jean Phillippe Hugron | Publié le 17/03/2022
Et s'il y avait, chez-vous, un gisement d'espace ? Autrement dit, pas de pétrole mais... de mètres carrés. En dégageant le faux plafond de son appartement situé en rez-de-chaussée - aussi « semi-récent » que conventionnel dans ses proportions -, un Madrilène fan de heavy metal a eu l'agréable surprise de découvrir un volume caché depuis la construction de l'immeuble, ressource essentielle pour un nouvel aménagement intérieur qu'il espérait de ses vœux.
Si ce trésor - lié en fait à la déclivité de la rue et à la volonté du promoteur d'origine d'uniformiser ses « produits » - est somme toute intéressant, le budget pour le valoriser reste mince. Pour Cumulolimbo, studio espagnol associant architecture, « actions urbaines » et recherche choisi pour cette transformation, les moyens offerts sont frugaux mais le désir d'originalité exprimé par la maîtrise d'ouvrage est grand. « Par l'intermédiaire de notre client, nous pouvions obtenir des matériaux à recycler et à réutiliser. Il était notamment en mesure de récupérer plus de cinquante caisses en bois servant, à l'origine, à protéger des équipements informatiques lors de leur transport pour que nous puissions les réutiliser dans le but de recouvrir les murs », indique Natalia Matesanz Ventura, architecte associée.
LE BON GOÛT D'INACHEVER
L'agence qui pratique dans ses projets « l'art du recyclage » est ainsi très vite séduite par cette opportunité originale, d'autant plus que ses associées sont également attachées aux matériaux économiques et durables. De leurs mises en œuvre découle souvent une architecture « à l'état brut », caractéristique d'autres projets de réhabilitation. « Nous aimons laisser les matériaux dans leur forme la plus véridique, sans les recouvrir, ni les cacher. La sophistication s'acquiert par l'arrangement et l'utilisation créative que nous en faisons », avance Natalia Matesanz Ventura. Aussi, dans ces circonstances, les détails sont réduits au minimum en évitant toutes les finitions inutiles. Si le regard devine un goût d'inachevé, l'architecte rétorque volontiers que l'appréciation est relative. « Cette sensation ne nous importe pas ; si nous arrivons à faire fonctionner correctement un projet au niveau thermique, acoustique en plus de proposer le meilleur confort tout en le laissant "incomplet", cela signifie que le reste n'était qu'accessoire », s'amuse-t-elle.
ÉQUILIBRE BUDGÉTAIRE
Cumulolimbo est toutefois conscient de la difficulté que peut représenter une stratégie de réemploi dans le cadre d'un projet domestique, notamment au moment de sa réalisation. En effet, les professionnels de la construction sont plus familiers des solutions standards ; tout ce qui va au-delà de leurs réflexes professionnels peut rapidement être bien plus coûteux. Aussi, la question économique est finement abordée ; les produits les moins chers sont parfois choisis, notamment des carreaux de carrelage noir et blanc pour la cuisine. Cette stratégie permet par ailleurs d'investir la majeure partie du budget dans la réalisation d'une structure métallique la plus fine possible, spécifiquement calculée pour soutenir une mezzanine. Les éléments porteurs ne viennent ainsi pas séquencer outre mesure un espace déjà exigu. « Nous avons également investi dans un mobilier sur mesure, que nous aimons concevoir main dans la main avec les menuisiers pour obtenir la meilleure qualité possible », explique l'architecte. Une nouvelle fois, le tout est composé à partir de rebuts glanés par le propriétaire des lieux. Côté couleur, ce sont principalement les matériaux bruts qui donnent le ton. L'équipe de Natalia Matesanz Ventura se risque à une seule touche, côté salle d'eau, avec un bleu Klein.
« Nous aimons laisser les matériaux dans leur forme la plus véridique, sans les recouvrir, ni les cacher. »
Les travaux achevés, l'appartement livré, la vie peut se réorganiser dans des espaces conçus pour être les plus généreux possibles. De fait, tous les éléments pouvant contrarier cette générosité sont réduits à leur plus simple expression : l'escalier, par exemple, transforme un plan de travail de la cuisine en palier... à moins que ce ne soit l'inverse. Cumulolimbo témoigne ainsi d'un idéal spatial partagé par une jeune génération d'architectes pour qui un logement ne doit plus être distribué par des circulations intérieures. L'enjeu est, à leurs yeux, dans les plus petites surfaces, d'offrir, encore et toujours, le luxe des plus grands volumes.
architectes Cumulolimbo studio
www.cumulolimbo.com
localisation Madrid, Espagne
livraison 2018
bâti d'origine 2007
études 3 mois
travaux 7 mois
surfaces 60 m² + 30 m² (mezzanine)
coût des travaux 35 000 euros HT
matériaux acier (structure escalier, mezzanine et agencements sur mesure) / panneaux de contreplaqué bouleau de réemploi (revêtement murs) / béton et profils en laiton (revêtement sol) / carrelage (crédence cuisine)
équipements électroménager de récupération