Une étude réalisée par l’institut de sondage Opinion Way en 2013 révélait que deux tiers des français s’adonnent au Do-It-Yourself. Mais comme le soulignait aussi le sociologue Éric Donfu, dans une interview donnée au journal Le Monde cette même année, «le DIYest partout: dans le bon gâteau préparé avec amour par une mamie ou dans les idées de décoration pour la maison. La seule règle immuable est que ce soit fait par soi-même.»
Il y a donc tout... et tout. Néanmoins, boosté par la crise et la remise en cause du modèle capitaliste, tout autant que par le succès des grandes surfaces de bricolage ou l’ouverture certes plus confidentielle, mais exponentielle, de Fab Labs, et surtout par Internet et le développement des procédés de fabrication numérique directe, le phénomène est devenu un objet de réflexion pour les designers. Faire des économies, consommer ou travailler autrement, exercer sa créativité, mesurer la valeur des choses, partager les savoir-faire... Les motivations sont multiples, les significations aussi.
Le sens des choses
En 1974, le designer Enzo Mari expose à la Galleria Milano, Proposta per autoprogettazione–Proposition pour un auto-projet–, une vingtaine de pièces de mobilier qu’il avait réalisées lui-même à partir de planches de bois clouées, accompagnées de leurs plans et notices de montage. «Je me suis dit que si quelqu’un essayait de fabriquer quelque chose, il en comprendrait la valeur, et qu’il saurait ensuite la reconnaître dans un objet produit industriellement. Lorsque j’ai expliqué mes raisons, mes collègues m’ont quasiment traité de fasciste, parce qu’ils pensaient que notre travail consistait à créer des objets rendant la vie des gens plus facile, alors que moi, selon eux, je les forçais à travailler plus.»
Une posture d’une incroyable modernité.
Aujourd’hui les choses bougent, et l’ombre d’un modèle hybride se dessine plus nettement, mi-collaboratif, mi-marchand, où les amateurs, consommateurs ou encore utilisateurs ont leur rôle à jouer dans le processus créatif. Dernier né des publications Phaïdon, l’ouvrage Do-it-yourself compile par exemple 50 fiches permettant de réaliser autant d’objets, meubles ou accessoires conçus spécialement par des créateurs. Les plans et notices sont disponibles en téléchargement sur le site de l’éditeur. Certaines firmes y voient aussi une opportunité de business, à l’instar de Leroy Merlin, qui présentait, en septembre 2015, le projet Drôles d’oiseaux, une collection de meubles et d’accessoires pour la maison imaginée par les designers de l’agence Fritsch Durisotti, à fabriquer à partir des produits disponibles dans les magasins de l’enseigne. Mais pas que.
Faire soi-même, mais pas tout seul
Ce lancement concordait aussi avec l’ouverture du Tech Shop Ateliers Leroy Merlin d’Ivry en région parisienne, un immense Fab Lab de 2000 mètres carrés, accolé à la grande surface de bricolage. Près de 150 machines disponibles, de la scie sauteuse à l’imprimante 3D, et une vingtaine d’experts pour accompagner qui le souhaite dans la mise en œuvre de son projet. Car la réalisation des meubles imaginés par Fritsch Durisotti s’appuie aussi sur les nouvelles technologies de fabrication digitale et l’open source. Ainsi, en se connectant sur la plateforme, n’importe qui peut télécharger gratuitement à la fois les notices de montage, la liste des fournitures nécessaires et les fichiers 3D pour imprimer les éléments de jonction aux formes plutôt complexes. Le choix des matériaux et des couleurs donne ensuite un modèle unique. Au prix du matériel s’ajoutent ensuite au minimum 50 euros d’abonnement par mois pour avoir accès au lieu les matinées, disposer pendant une heure d’un équipement préalablement réservé et apprendre son maniement.
Concevoir, pour permettre de faire
Les détracteurs d’Enzo Mari auraient peut-être adouci leur diatribe devant The Patch Project, mis au point par l’agence polonaise Beza Projekt: une collection de connecteurs en métal inspirée de la forme des pansements des kits de premiers soins. À plat ou pliés selon différents angles, ils permettent à tout un chacun d’assembler facilement des morceaux de bois standard (planches et tiges de section carrée) disponibles dans les magasins de bricolage pour construire... ce que bon lui semble. Le design repose ici sur la conception de l’élément de jonction. Pas de notice, ni de meuble préconçu. Seules quelques suggestions, mises en scène dans des photos, comme ici, une station de travail inspirée des bateaux pirates. Ce faisant, les concepteurs développent aussi une esthétique «bricolée», mais maîtrisée. «Il n’y a pas besoin de disposer régulièrement les patchs, expliquent-t-ils. Le chaos fait partie du design, pour que chacun puisse librement former les assemblages souhaités. Le composant technique est aussi décoratif.» Plus critiques, mais dans le même esprit –faire avec un existant standard, disponible partout, et ne concevoir que les éléments permettant d’en customiser l’assemblage–, les designers Andreas Bhend et Samuel Bernier se sont amusés à détourner un tabouret Frosta, best seller de l’enseigne Ikea (9,99 euros), afin de réaliser une draisienne et une luge. Ici, les concepteurs ont ensuite recours à l’impression 3D –une petite machine Makerbot–, pour la fabrication des pièces d’assemblage, qu’ils conçoivent eux-mêmes. Ils poussent même le projet jusqu’à la reproduction de la charte graphique des notices de montage.
Demain, tous makers ?
Plus futuriste, le projet Rep Rap, initié en 2008 par le professeur Adrian Bower de l’Université de Bath, vise à créer une imprimante 3D de bureau en open source, capable de se reproduire... et de produire de petits objets courants. La première version ne permet de réaliser que les parties en plastique, par dépôt de fil, le reste de l’équipement nécessaire à la construction d’une machine (parties mécaniques et électroniques) devant être réalisé séparément, avant assemblage. Mais l’équipe, 16 personnes originaires des quatre coins du globe, et soutenue par une large communauté d’ingénieurs, d’inventeurs ou encore de passionnés, travaille à la mise au point d’une seconde version afin d’imprimer la quasi totalité des composants (parties électroniques comprises). «L’objectif de Rep Rap est de donner librement accès à la conception d’une machine que tout le monde pourrait utiliser pour produire des biens que nous devons acheter aujourd’hui, et de nouvelles imprimantes, pour d’autres, explique Adrian Bower. Le projet vise l’installation d’une micro usine dans chaque maison. Une usine, qui pourrait elle-même générer d’autres usines.» De l’écriture du code informatique à la documentation, en passant par la conception des parties électroniques et mécaniques: tout est réalisé par la communauté, qui publie et partage ensuite les informations sur le web – la communauté a créé un Wiki. Depuis le lancement de l’initiative, de nombreux «makers», partout sur la planète ont ainsi fabriqué une Rep Rap, publiant photos, dessins, étapes, donnant leurs conseils de réalisation, contribuant ainsi, en enrichissant la documentation, à faire évoluer très vite les possibilités des ces imprimantes low-cost. Alors demain, tous makers?