Dacca, Lagos, Manille, Mexico ou Téhéran : attention, « ces mégapoles ne sont pas le sujet de l'exposition Prince•sse•s des villes », préviennent ses commissaires, Hugo Vitrani et Fabien Danesi. Au Palais de Tokyo, les deux curateurs ont rassemblé les œuvres de plus de cinquante artistes qui, tous, vivent et créent au sein de ces agglomérations tentaculaires.
La scénographie, signée par l'architecte Olivier Goethals, invite à la dérive dans un dédale de salles, « à la manière d'une ville imaginaire, où l'espace et les œuvres dialoguent sans discontinuer ».
Des cimaises en bois, pour une expo comme en travaux, profusion devisions bigarrées et bordéliques : les étals du marché Balogun à Lagos, tableaux vivants reconstitués par la plasticienne Ndidi Dike, se frottent aux murs des rues de Mexico bombés de noir et de chrome par le graffeur Zombra. Dans cette abondance étourdissante de formes et de couleurs saturées, l'humain et le bâti semblent se répondre et s'enchevêtrer, passant d'identités en construction à des édifices en chantier. Ici, les tatouages sur les corps deviennent des graffitis géants. Là, des néons symbolisant une vulve éclairent une paroi. Des œuvres trash, cul, provoc', presque toujours violentes, comme pour mieux exister dans ces urbanités troubles où l'art paraît pourtant vouloir s'exprimer sur chaque mur. Au passage, Prince•sse•s des villes rend hommage aux espaces d'expression alternatifs, allant même jusqu'à reconstituer Lulu, white cube de 12 mètres carrés créé à l'origine à Mexico par le sculpteur Martin Soto Climent et le commissaire Chris Sharp dans une ruelle à côté d'une marchande de jus d'orange. Dans les allées de l'exposition, la surprise surgit toujours, que ce soit par l'œil ou par l'ouïe, quand elle ne naît pas du détournement : en bidouilleurs géniaux, les artistes sélectionnés construisent des univers fantasmatiques en recyclant les matériaux les plus improbables, à l'image des aliens en plastique du Manillais Leeroy New. Dans la guinguette investie par l'artiste, le visiteur peut se coiffer d'un casque intersidéral pour siroter un soda au milieu de ses semblables transformés en extraterrestres -une métaphore d'une statistique cruelle, celle d'un pays, les Philippines, où près de 10 % de la population est forcée d'immigrer et dont les personnages fantastiques de Leeroy New interrogent le statut de migrants, contraints de partir vers des territoires inconnus… Au sortir de l'exposition, c'est le refrain de Michel Berger, diffusé en boucle, qui reste dans l'oreille : « Et l'avenir fragile / Pour les princes des villes », fredonne le chanteur. Au vu de leur audace dans la débrouille, on aimerait au contraire que le futur leur appartienne.
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Exposition Prince·sse·s des villes
♦ Dates : jusqu'au 8 septembre 2019
♦ Lieu : Palais de Tokyo, Paris 16e
♦ Pour en savoir plus : www.palaisdetokyo.com