Carbone et Silicium sont deux prototypes de robots intelligents, crées par la Tomorrow Fundation, une grosse firme de la Silicon Valley. Deux IA sur le point d'échapper à leurs créateurs ; ainsi débute le nouvel album de Mathieu Bablet, jeune auteur-dessinateur multiprimé, qui, après le succès de son précédent opus, Shangri-La (éd. Ankama, 2016), errance d'un vaisseau spatial sur fond de manipulation génétique, s'offre une relecture somptueuse de ce poncif de la SF.
À travers le regard de ses deux protagonistes et leur fuite éperdue, trois siècles durant, aux quatre coins de la planète, Mathieu Bablet traite aussi bien de la recherche du bonheur que de l'effondrement du monde, dans un récit aux questionnements étayés par de nombreuses lectures scientifiques.
Une vision du futur de l'humanité qui serait sombre, si elle n'était illuminée de dessins splendides aux couleurs douces. Car les urbanités high-tech en déliquescence de Mathieu Bablet ne se départissent jamais d'une certaine forme d'onirisme : de l'Inde à la Russie, l'illustrateur, qui confessait lors de la conférence de lancement de l'ouvrage, rechercher « une beauté dans les environnements altérés », fait déambuler ses deux héros dans d'amples décors de cités de buildings ou en ruines. Parmi ses références, il cite par exemple les labyrinthes d'Escher, mais aussi les architectures gigantesques du concepteur de jeux vidéo Fumito Ueda, ou les mégastructures d'un autre Japonais, l'auteur de manga Tsutomu Nihei. En résulte un voyage spatio-temporel XXL hypnotisant, sous des ciels à la Turner mais aussi dans les limbes des réseaux numériques : en effet, la plus grande trouvaille de l'ouvrage est sans doute son image du « monde de l'information, de flux, qui n'existe pas », dans lequel se perdre et converger avec l'humanité toute entière (page de droite).
Incapables de vivre ensemble comme de se quitter, Carbone et Silicium hésitent entre raison et sentiment, collectivité et individualisme. Partir ou rester ? Nous avons choisi la seconde alternative, scotchés qu'on était dans leurs pérégrinations mélancoliques…
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