⇒ Propos de C215 recueillis par Mathieu Fumex :
Architectures À Vivre : D'où vous vient la pratique du street art ?
C215 : Je ne sais pas s'il s'agit d'un choix à proprement parler, tant l'idée de peindre sur les murs et dans la ville est générationnelle. J'ai grandi avec le graffiti, les cultures hip-hop et punk/rock, qui m'ont forcément influencé. Pourtant, le produit de mon travail est plutôt une synthèse de ces courants, teintée de culture classique.
A.À.V : Que représente la ville à vos yeux ?
C215 : C'est un non-lieu d'art : la plupart des rues sont standardisées, normées. À l'origine, ceux qui faisaient du graffiti, des tags, voulaient laisser des empreintes singulières, anthropologiques, au sein même de la ville affectée par la violence froide de l'uniformisation de l'architecture et de l'espace public. Grâce à ce marquage, ils tentaient d'annihiler la privatisation de cet environnement. Ma génération, celle du street art, a voulu s'inscrire dans cette démarche, en reprenant ses signes, son langage. Il n'était cependant plus question de contester la dépossession du bien commun de manière frontale, mais plutôt de la subvertir, en utilisant ses ressources, sa valeur, pour que chacun, riverain et simple passant, se reconnaisse dans la ville grâce à nos œuvres. En peignant sur des zones a priori sans intérêt comme des portes, des murets ou des pignons négligés, nous tentons d'intégrer dans la rue des œuvres d'art qui puissent bénéficier à tous. Au final, je crois que nous sommes parvenus à bouleverser ce système originel.
A.À.V : Pensez-vous donc que l'espace public appartienne à tous ? À personne ?
C215 : Il n'est pas possible de répondre de manière catégorique à cette question. Cela dépend des régions, des cultures, des catégories professionnelles des habitants et de bien d'autres facteurs. Évidemment, dans les banlieues difficiles où la location est majoritaire, il existe une sorte de désaffection vis-à-vis de la ville. C'est différent dans les quartiers privilégiés où l'on imagine facilement chacun défendre un patrimoine qui ne lui appartient pourtant pas au sens strict.
A.À.V : Quel rapport entretenez-vous avec les constructions sur lesquelles vous travaillez ?
C215 : Je suis historien de l'architecture religieuse du XVIIe siècle en France, et le souci de la convenance, primordial dans l'art classique, m'a imprégné. J'essaie donc de produire des œuvres appropriées à leur environnement et leur support, même si j'aime sortir du cadre initial. Finalement, le street art est quelque chose qui sort du cadre. Il est intégré à un contexte, qu'il souligne justement en débordant. C'est cette oscillation qui définit vraiment ma pratique.
A.À.V : Vous concevez vos pochoirs en atelier. À quoi ressemble cet espace ?
C215 : Il est assez difficile à décrire ! En fait, j'ai deux ateliers. Dans le premier, j'entrepose divers objets, archives, appareillages… Dans le second, plus fonctionnel, j'accumule des dessins des toiles et des objets sur lesquels je peins. Disons que c'est un grand bazar avec des bombes d'aérosols, des pochoirs, du carton…
A.À.V : Votre lieu préféré en ville ?
C215 : Le 13e arrondissement de Paris, où j'habite. Je crois que le moyen le plus fort de se sentir attaché à un lieu, c'est d'y résider. Je me sens bien dans mon environnement, bien dans mon siècle. Il est important de vivre avec son temps et ce que l'on est.
VIDÉOS : 5 minutes with C215 & 5 more minutes with C215 (by Estelle Beauvais / Production Ilovegraffiti and Arte Creative )
Interview parue dans le hors-série 36 : Lofts et maisons de villes