Rédigé par Raphaëlle Saint-Pierre | Publié le 05/10/2018
Lorsqu'en 2012, l'architecte Sébastien Segers entame sa recherche d'une habitation à Paris, avec son épouse et leurs deux enfants, il a en tête des critères bien précis : un dernier étage sans vis-à-vis, avec une cheminée et une terrasse. « Cela m'a vite orienté vers les immeubles modernes de l'est et de l'ouest de la capitale », explique-t-il. Mais c'est seulement au bout de trois ans, à l'été 2015, qu'il tombe enfin sur le lieu rêvé, au cœur du quartier Picpus dans le 12e arrondissement. Au neuvième et dernier étage d'un bâtiment construit en 1963, aux façades habillées de petits carreaux de pâte de verre gris et noirs, il découvre l'appartement où Pierre Chaussade, l'architecte de l'immeuble, a vécu pendant cinquante ans. « Dès le début de la visite et avant même d'avoir vu la terrasse, je me suis dit que ce serait lui ! », se remémore Sébastien Segers.
ARRONDIR LES ANGLES
Après avoir imaginé plusieurs reconfigurations, il décide de conserver les fonctions exactement au même endroit. Le plan d'origine se révèle parfait pour sa famille, avec les chambres des enfants et celle des parents aux deux extrémités. « Sans compter que ces immeubles modernes sont truffés de gaines compliquées à déplacer. Je me suis donc contenté de l'épurer au maximum. » Il décloisonne l'entrée, la cuisine et le bureau pour former un vaste séjour en Y profitant pleinement de la disposition traversante de l'appartement. « J'ai respecté des principes du Feng Shui : libérer l'espace pour plus de fluidité et arrondir les angles les plus visibles, notamment celui de la chambre d'amis afin de relier la salle à manger au salon et garder l'équilibre des vides. J'ai également prévu des niches aux angles pour créer des respirations », détaille Sébastien Segers. Tandis que les meubles de la cuisine, leurs poignées en liège et la hotte reprennent sa courbe de prédilection : la doucine*.
LA CHEMINÉE AU CŒUR
Les menuiseries en bois des anciennes fenêtres sont remplacées par des cadres en acier aux dimensions similaires. Entièrement repeints en blancs, les murs permettent aux habitants d'apprécier les trois qualités de lumière : est, ouest et zénithale. Ce fond neutre fait d'autant mieux ressortir le chêne choisi pour la construction de tous les agencements et le revêtement du sol. Dans les niches, des pièces de cuir apportent une touche de couleur, orange dans le séjour et bleu dans les chambres. Au centre de l'appartement, l'architecte redessine la rigide cheminée de manière à unifier la pièce de vie : il crée une pente sur le côté et prolonge le socle en briquettes qu'il fait refabriquer dans la teinte d'origine. Puis il la recouvre d'un enduit traditionnel texturé avec de la paille mélangée à du sable de corail rapporté d'une plage de Zanzibar, qui scintille discrètement.« Partout, j'ai cherché à conserver et réinterpréter l'esprit des sixties, sans tomber dans le pastiche », détaille-t-il.
MARBRE DE CARRARE
Cette relecture des années 1960 ainsi que le vocabulaire inspiré de l'univers de l'aviation et du bateau, Sébastien Segers l'a notamment développé auprès du designer australien Marc Newson, avec qui il a étroitement collaboré de 1996 à 2012, réalisant, entre autres, le restaurant Lever House à New York et les salons de la compagnie aérienne Qantas à Los Angeles, Sydney et Melbourne.
« Marc Newson m'a sensibilisé à la question de la petite échelle et à la matérialité des choses, apprécie l'architecte. J'aime travailler les matériaux naturels avec un dessin contemporain, qui requiert un véritable savoir-faire. »
L'impressionnant plan de travail en marbre de la cuisine, avec son bord marin, illustre la relation entamée il y a plus de quinze ans entre Sébastien Segers et les artisans de Carrare, et dont la façade du grand magasin Aux Trois Quartiers à la Madeleine, réalisée en 2013, a constitué l'apothéose. Cette confiance existe aussi avec les ébénistes auxquels il fait appel : Hubert Weinzierl, auteur du mobilier sur mesure, ou Christophe Pardini qui a exécuté la double porte de la chambre d'amis. En feuilles d'ébène de Macassar poinçonnées de dizaines de milliers de trous et feuilletées dans du verre, cette dernière évoque un moucharabieh laissant filtrer les rayons du soleil couchant. Avec cet appartement, Sébastien Segers a pu expérimenter lui-même la dimension domestique de ses aménagements.
« C'est un prototype pour la conception de deux opérations de plusieurs centaines de logements de luxe actuellement en chantier aux États-Unis », conclut-il.
*La doucine est le profil d'une moulure composée de deux courbes opposées : l'une concave en haut et l'autre convexe en bas.
⇒ Article paru dans Architectures À Vivre 103 spécial petites surfaces
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