C'est un drôle de capharnaüm qu'Antoine et Anne-Sophie découvrent en ce jour de février 2012. Depuis quelques mois déjà, ils sont à la recherche d'un bien pour abriter leur petite famille. La chasse au nid idéal les mène jusqu'au cœur du 18e arrondissement de la Capitale, où ils découvrent, au rez-de-chaussée d'un immeuble du siècle précédent, un ancien atelier d'imprimerie. Le découpage et l'état des quatre lots séparés qui le composent sont assez invraisemblables : alignés le long d'un couloir, de surfaces et hauteurs sous plafond aléatoires, et avec chacun sa propre entrée, ils abritent encore en partie les impressionnantes et archaïques machines de l'activité précédente, dans un désordre et une saleté absolus. Mais, avec un sous-sol, une grande verrière et un prix de vente en accord avec son budget, ce lieu atypique séduit le couple, qui entrevoit son potentiel sous la poussière. Pour s'assurer de la viabilité et du montant d'une opération de transformation des quatre lots en logement, le couple fait logiquement appel à Pierrick Malenfant et Nicolas Thomelin, de l'agence pm4, rencontrés quelques mois auparavant, lorsqu'à l'époque, ils pensaient encore surélever leur appartement du 15e arrondissement. Si le projet n'a pas vu le jour, « le feeling est bien passé », dixit tous les protagonistes !
LA LOI DU TIRANT
Pierrick Malenfant et Nicolas Thomelin réalisent d'abord un chiffrage estimatif et une première esquisse pour s'assurer que les besoins programmatiques de la famille - une grande pièce de vie, un espace bureau et trois chambres - s'accordent avec les surfaces disponibles. Et c'est avec ces éléments que le couple valide son achat.
« L'étape suivante a été de dessiner l'élévation sur la partie commune pour obtenir l'approbation de la copropriété, détaillent les architectes. Tout en essayant de conserver une façade semblable à l'existante, et sans oublier que cela reste un lieu de circulation, nous souhaitions l'ouvrir le plus possible pour récupérer de la lumière indirecte et éviter le sentiment d'enfermement. »
La trame des anciennes fenêtres est donc conservée pour intégrer les nouvelles ouvertures : une seule grande porte d'entrée et des bandeaux positionnés à plus de 1,80 mètre de haut, hors de portée du regard d'éventuels passants. L'agence s'attaque ensuite à l'organisation des espaces intérieurs. Au rez-de-chaussée, les cloisons séparant les différents lots sont abattues. Le grand plateau ainsi dégagé accueille logiquement la pièce de vie et la cuisine, ainsi qu'un petit bureau et la salle de bains, seul volume cloisonné à ce niveau. Contrainte majeure, une poutre renforcée par un tirant métallique à 3,50 mètres du sol, traverse la parcelle sur toute sa longueur. C'est donc lui qui induit le positionnement du nouvel escalier, dans le prolongement de celui existant menant au sous-sol (pour l'instant inexploité), et qui doit, selon le souhait des propriétaires, desservir chaque chambre à l'étage indépendamment. C'est après de multiples modélisations 3D que les architectes obtiennent sa forme optimale : une pièce sculpturale suspendue, sans contremarche, en trois volées avec un palier intermédiaire.
INSTANTANÉS DE VIE
Pour entretenir l'esprit du lieu, les architectes privilégient les matériaux industriels, les plus bruts et apparents possibles : chêne massif au sol, acier encaustiqué pour l'escalier et les IPN qui soutiennent les planchers de l'étage - en partie conservés pour des raisons économiques -, acier vernis pour le plan de travail et la crédence de la cuisine. Les propriétaires imaginaient un îlot central mais l'agence les en dissuade, arguant de la surface absorbée que cette solution aurait impliquée. À la place, un long linéaire occupe le mur côté couloir, libérant le reste de la pièce de vie. Son calepinage irrégulier, ses lignes affirmées et ses plinthes légèrement de biais apportent un dynamisme appuyé à cet ensemble qui se laisse découvrir dès l'entrée. Car ici, les perspectives ont été savamment étudiées :
« Ce qui définit un loft selon nous, c'est aussi la présence d'un maximum d'échappées visuelles. Nous avons donc essayé de multiplier et de diversifier les points de vues intérieurs » , appuient Pierrick Malenfant et Nicolas Thomelin.
Ainsi, depuis la salle de bains, la suite parentale ou la chambre de la petite dernière, des ouvertures offrent aux habitants des cadrages étonnants, captures fugaces d'instantanés de vie.
⇒ Lire l'interview des architectes Pierrick Malenfant et Nicolas Thomelin de l'agence pm4.
Article paru dans le Hors-série 36 : Lofts et maisons de villes
FICHE TECHNIQUE
♦ architectes pm4.Architecture Pierrick Malenfant et Nicolas Thomelin
www.pm4.fr
♦ localisation Paris (18e )
♦ bâti d'origine début XXe siècle
♦ livraison 2014
♦ études 6 mois
♦ travaux 8 mois
♦ surfaces 130 m2 au sol (dont 87 m2 SHON)
♦ coût des travaux 100 000 euros HT (hors peinture et aménagement salle de bains)
♦ matériaux acier brut encaustiqué (IPN, structure escalier) / acier vernis (revêtement plan de travail et crédence) / contreplaqué filmé blanc (façades mobilier de cuisine) / chêne massif (parquet) / carrelage (sol cuisine, sol et mur salle de bains)
♦ fournitures électroménager AEG / hotte Smeg / carrelage Azulej de Mutina par Patricia Urquiola (mur salle de bains) / W.-C. Gébérit et Duravit par Starck / interrupteurs Karo Satin chez Mod Elec / spots Diro chez Delta Light / appliques Lotus B chez Bel Lighting / suspension d'occasion Berlino chez iGuzzini / rampes d'éclairages (barres et spots) de La Boutique du Spectacle / chaudière gaz Luna de Chappée