À travers sa mission d'ameublement des lieux officiels de la République, le Mobilier national diffuse et incarne notre art de vivre ?
En effet ! Les lieux officiels de la République (ministères, ambassades) sont de formidables vitrines. Ainsi à travers notre mission d'ameublement, nous en remplissons une autre : celle de diffuser et promouvoir la création, les métiers d'art et les savoir-faire, d'aider à la création de nouveaux styles, à l'émergence de nouveaux talents, en soutenant la création nationale. En France, sous l'ancien régime au XVIIe ou au XVIIIe par exemple, nos rois ne vivaient que dans du très contemporain, ce qui se faisait de plus moderne, de plus innovant. Le garde meuble royal servait à cela. Avec le design aujourd'hui, nous perpétuons cette tradition. L'ameublement des lieux officiels est un moyen, mais pas une fin en soi.
Comment exercez-vous votre mission ?
D'abord une liste très précise a été établie par la loi afin de déterminer ce que l'on appelle des lieux « affectataires de droit des dépôts du Mobilier national » . Notre travail est donc très encadré. Ensuite, je dirais que nous travaillons un peu à la manière d'un ensemblier, pour répondre aux demandes qui émanent des ministères ou des ambassades. Ce sont des lieux que nous connaissons, mais en fonction des directions « décoratives » , si je puis dire, dans lesquelles nos affectataires souhaitent aller, nous faisons des propositions. Ce qui est particulièrement intéressant, est que nous sommes les témoins des goûts d'une époque. Au XIXe siècle, et jusqu'à il y a peu, ils étaient assez classiques, inscrits dans la répétition des styles [ qui incarnaient une certaine image du pouvoir, ndlr] ou la grande tradition des arts décoratifs français. Aujourd'hui, le contemporain a une très nette prévalence. Ce qui nous permet aussi de renforcer notre mission de soutien à la création contemporaine, et de poursuivre, avec d'autant plus de force, le travail engagé par André Malraux avec la création, en 1964, de l'Atelier de Recherche et de Création (ARC) du Mobilier national : favoriser la création et la promotion des artistes et des designers les plus innovants, les plus originaux de leur époque. Ce, en préservant et perpétuant des savoir-faire très anciens - c'est le cas de la tapisserie ou du tapis à la manufacture de la Savonnerie - ou au contraire très contemporains, comme à l'ARC. Cela a permis à certains créateurs d'opérer de vraies ruptures !
Comme Pierre Paulin, sous la présidence de Georges Pompidou par exemple ?
Il est vrai que son aménagement des salons privés du palais de l'Élysée reste un moment très fort dans l'histoire des arts décoratifs français. Une approche globale, complète, du sol au plafond, caractéristique de son travail mais réversible… La démarche est passionnante : c'est un travail d'ensemblier et une interprétation moderne d'un salon officiel. Il a en quelque sorte résolu des antagonismes, notamment en France, entre la décoration et le design ! Aujourd'hui, on est moins…orthodoxe, ou catégorique. La dimension esthétique ou le ravissement des yeux peut être en soi une fonction… Les démarches sont plus ouvertes, et nous les encourageons.
Comment se passe aujourd'hui l'accompagnement de la création contemporaine ?
Il est encore plus volontaire : on attend plus forcément d'être sollicité par l'un de nos affectataires. Nous avons des commissions d'acquisition permanentes, qui permettent aux designers de nous proposer des modèles. Nous les sélectionnons en privilégiant l'originalité du projet et accompagnons son développement et sa réalisation dans nos ateliers. Ce à quoi il est parfois compliqué d'avoir accès, parce que les industriels du meuble ne peuvent pas toujours prendre ces risques économiques. Or en tant que service publique de l'État, nous avons ce rôle à jouer : aider à l'émergence de la jeune création française.
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