Depuis 2008, Fredrik Färg et Emma Blanche cousent un monde à quatre mains. Un monde piqué, matelassé, gansé, surfilé, coupé. Un monde généreux et coloré, empruntant autant à la mode ou l'art contemporain, qu'aux savoir-faire traditionnels du meuble, du verre, de la céramique. Et bien-sûr du textile. Un pied dans l'industrie, l'autre dans la production en série limitée pour des galeries, une main sur la machine (à coudre, mais pas que…), l'autre sur l'ordinateur. Nous les avons rencontrés dans leur immense atelier du quartier de Södermalm à Stockholm. Portrait.
Le duo nous accueille au pied de la longue rampe d'accès qui mène à l'atelier, un ancien garage reconverti en showroom, bureau, lieu d'expérimentation créative, etc. Là, des prototypes de meubles, de luminaires, des morceaux d'exposition encours de montage composent un paysage étonnant. Les chaises sont enrobe de bal, les fauteuils revêtent des armures, la vaisselle dévoile ses courbes généreuses.
Les designers s'excusent pour le bazar : ils viennent de livrer une chauffeuse au fabricant suédois Gärsnas, rentrent tout juste du salon du meuble de Stockholm, préparent celui de Milan…
« Nous sommes toujours très impliqués dans le processus de production, explique Fredrick Färg. Depuis que nous avons ouvert le studio, nous expérimentons des techniques de couture extrêmes. Nous sommes continuellement à la recherche de nouveaux procédés de production et d'autres manières d'utiliser les matériaux. La plupart de ceux que nous convoquons appartiennent traditionnellement à l'univers du meuble : textiles, bois, garnissages de mousse. Mais nous cherchons toujours à en repousser les limites. » De là, nait aussi un univers de formes singulier. En 2009, ils entament un processus de recherche autour d'une famille qu'ils nomment Succession. Le principe -utilisé par exemple pour le plissage des textiles dans la mode - consiste à contraindre du cuir ou du tissu avec des cordes autour de blocs de mousse polyester, puis à cuire l'ensemble dans un four à vapeur pour le rigidifier. Après cuisson, les liens sont retirés, donnant alors vie à de petits personnages dodus, à la fois bruts et en même temps raffinés, prêt à peupler les intérieurs. Tabourets, étagères ou miroirs composent la collection, et mènent, en 2014, à la création de la série d'objets d'art de la table en céramique du même nom, éditée par Petite Friture. L'année précédente, le duo entame une collaboration avec l'éditeur de mobilier suédois Gärsnas et livre le fauteuil Emma, réinterprétation « couture » d'un classique du XVIIIe siècle. Ici, en effet, le dossier est fabriqué en une seule fois, et les piqures jouent à la fois un rôle structurel et esthétique. Un projet qui donne à Fredrik et Emma l'envie de pousser plus loin le processus, en travaillant avec des matériaux rigides, comme les plaques de contreplaqué moulé utilisées dans la fabrication des meubles depuis les années 1950. Retour à l'atelier, donc, sur une machine à coudre un peu particulière, en partie inspirée de celles utilisées dans l'industrie automobile pour la sellerie. Et sous les aiguilles, des plaques de bois, de métal, des textiles et des mousses, patronnés, assemblés, mis en volume.
« Les techniques que nous mettons au point ne valent que si elles peuventêtre transférée à l'industrie pour la production de masse », soulignent les designers.
Bien que septique au départ, Gärsnas les suit, et ensemble, ils mettent au point la collection de banquettes et fauteuils Julius en 2016. La même année, ils signent le fauteuil Couture pour BD Barcelona. « Nous voulions créer un meuble fortement axé sur le motif créé par les coutures et sur lequel le métier soit vraiment visible », poursuit le duo. Ici, des couches successives de plaques, sont cousues les unes avec les autres, jusqu'à la garniture du siège. Les piqures tiennent l'ensemble et le structurent. Depuis lors, ils déploient leur univers foisonnant et généreux, un pied à l'atelier, l'autre à l'usine. De Johannsen à CEO Lighting, en passant par Bolon ou Design House Stockholm, ils taillent, assemblent et combinent les matériaux au service de pièces mêlant comme nulles autres un certain classicisme, des traditions et des savoir-faire renouvelés avec une immense liberté créative.
► Article paru dans Architectures À Vivre 108 : Visitez 500 maisons avec leurs architectes