De 1914 à 1918, 20 tonnes de bombes ont pilonné le plateau du Chemin des Dames, dans l'Aisne. Du village du Vieux Craonne, il ne reste rien, sinon une chanson antimilitariste et ce paysage martyrisé, topographie toute en creux et en bosses, qui mieux que les chiffres - cinq tués par mètre carré - parle des horreurs de la Grande Guerre...
Cent ans plus tard, le paysagiste berlinois Thilo Folkerts a magnifié le relief d'un geste, cercle d'inox posé sur les feuilles mortes, « pour inviter à cultiver la mémoire grâce au jardin, cette petite bataille contre la nature ». À l'intérieur, il demande aux promeneurs de planter des bulbes de tulipes ou de narcisses à l'aide d'outils taillés dans des branches de noyers, « celles-là même qui servaient aux crosses des fusils » .
Cet aménagement minimaliste est l'un des douze « Jardins de la paix » inaugurés en novembre lors du centenaire de la Première Guerre mondiale.
L'originalité de l'appel à projets : s'adresser à des paysagistes issus des puissances belligérantes, pour leur confier des sites qui résonnent avec leur nationalité. Au bas des remparts du Quesnoy, la conceptrice néo-zélandaise Xanthe White fait ainsi danser les massifs d'harakeke - nom maori du phormium - en souvenir du contingent kiwi qui, en 1918, est parti libérer la citadelle. Sur ou en regard de cratères d'obus, d'alignements de croix blanches, de tranchées reconstituées, les œuvres proposées s'inscrivent en pointillés, comme des respirations. La paix, semblent-elles rappeler, a aussi besoin de bancs - celui du « Jardin du troisième train » , incrusté de miroirs, a été déposé dans la forêt de Compiègne par l'équipe franco-allemande de Marc Blume et Gilles Brusset : « Nous souhaitions créer un espace non sacré, où marcher, s'asseoir, parler, réfléchir, à quelques pas de la clairière de l'Armistice. » D'ici 2022, trente aménagements viendront ainsi jalonner ce territoire à jamais marqué par la « Der des der ».
« Comme pour la paix, le temps est essentiel au jardin » , soulignent à ce sujet les paysagistes James et Helen Basson.
Telle l'écume, la craie, qui remonte à la surface pulvérisée des cratères d'obus, a coloré les buttes de leur installation. Ces monticules blancs donnent à voir un peu de cette terre dévastée telle qu'elle était il y a cent ans, mettant en lien les peuples et la nature, seule à pouvoir cicatriser les champs de bataille.
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