Rédigé par Nadège Mével, Jordi Patillon et Mathieu Fumex | Publié le 29/03/2018
Au fil du temps, celui-ci s’est en effet déplacé d’est en ouest le long du fleuve, afin d’accueillir des vaisseaux toujours plus gros. Sa capacité et sa modernité lui garantissent un quasi-monopole sur les arrivées d’hydrocarbures, en tant que seul port européen – avec Le Havre – en capacité d’accueillir des supertankers transportant jusqu’à 400 000 tonnes de pétrole. Une virée sur le fleuve – à bord du Spido ou en water-taxi – permet d’ailleurs de mieux se rendre compte de l’importance de ces équipements totalement hors d’échelle et s’étalant sur près de 50 kilomètres.
CHAMP LIBRE
Rotterdam puise aussi sa force et son identité dans les heures les plus sombres de son histoire. Le 14 mai 1940, la Luftwaffe détruit la quasi intégralité du centre-ville afin de réduire les velléités de résistance du peuple néerlandais. Ce bombardement intense sert d’explication à la modernité du port mais aussi à la diversité architecturale (parfois déroutante) de la cité. Après la Seconde Guerre mondiale, seuls quelques bâtiments à la valeur symbolique sont ainsi conservés comme témoins du passé ; le reste, en ruine, est rasé.
Le champ est alors laissé libre aux acteurs de la reconstruction, qui se font les chantres d’un urbanisme moderne, aéré et horizontal, aux larges boulevards et au béton roi.
La capacité de logement du centre diminue ainsi de 28 000 à 7 000 résidents. Les principaux axes de circulation sont élargis, la gare centrale est rebâtie, les espaces verts multipliés. Le port, rendu en partie inutilisable par les bombardements ou le minage délibéré opéré par l’armée nazie à la fin de la guerre, fait également l’objet de vastes chantiers de restructuration.
À LA CONQUÊTE DU CIEL
Mais dépassée au début des années 1980 par l’aura touristique de son éternelle rivale – Amsterdam la préservée –, et ébranlée par les chocs pétroliers successifs, la ville, en quête de reconnaissance, prend un nouveau virage : elle diversifie ses activités économiques et commerciales, promeut l’architecture et le design contemporains, et vise… haut ! Aussi loin que porte la vue, Rotterdam pointe fièrement son nez vers le ciel. Ainsi, la skyline s’élève peu à peu, et les constructions comme le pont Erasmusbrug (1996) de Ben van Berkel et Caroline Bos, l’immeuble mixte De Rotterdam (2013) de Rem Koolhaas, ou encore les récents bâtiments du Timmerhuis (comprenant services municipaux, musée et unités résidentielles) signés des cabinets Claus en Kaan, Mecanoo, Meyer en Van Schooten, OMA et SeARCH (2015) deviennent les emblèmes d’une grande variété architecturale, composant un paysage urbain paradoxalement harmonieux. Symbolique, le quartier d’Oude Haven rassemble ainsi dans un périmètre étriqué les styles architecturaux les plus hétéroclites : la station de métro et de trains Station Blaak (1993) d’Harry Reijnders, coiffée d’une soucoupe volante en verre, côtoie la tour d’habitation Potlood (1984) de Piet Blom et son allure de crayon mal taillé, la Bibliothèque municipale (1983) de Jaap Bakema – hybride déroutant du Centre Pompidou et d’un paquebot échoué –, ou encore les Cubes Houses (1984), gros dés renversés également signés Piet Blom.
DENSIFIÉE ET DYNAMISÉE
Plus récente, mais tout aussi emblématique, l’arche du Markthal de 50 mètres de haut (2014) signée de l’agence MVRDV prend place tout près de l’église historique de Laurens, à l’endroit même où la cité fut fondée. Sur 100 000 mètres carrés, elle abrite en son centre une halle de marché pour plus de 100 étals, elle-même couverte par 228 appartements traversants. Le projet s’inscrit dans la politique globale de la municipalité qui cherche à redensifier le centre-ville tout en y augmentant le nombre de logements et d’espaces verts.
Depuis 2010, soixantequinze jardins potagers, six-mille arbres et plus de 140 000 mètres carrés de toits végétalisés ont ainsi vu le jour.
Le port, lui, continue son expansion en gagnant sur la mer tandis que la ville continue de développer des plans de maîtrise des eaux pour parer à leur montée, à l’affaissement des terrains et aux précipitations plus importantes dues au réchauffement climatique. Une activité inlassable qui se diffuse aussi dans la pléthore d’offres culturelles, artistiques et événementielles, portées par une communication efficace. Un dynamisme également sensible dès lors que l’on parcoure les rues où galeries d’art, boutiques de design, rooftops détonnants, cafés et restaurants branchés, œuvres de street art colorées, passerelle aérienne en bois et forêt flottante se mélangent dans une joyeuse ébullition.
Moderne et éclectique, Rotterdam a décidément tout pour plaire.
Article paru dans le Hors-série 38 : Week-ends d'architecture (mars-avril-mai 2018)