Rédigé par Charlotte Pavard et Elisabeth Karolyi | Publié le 09/05/2019
La promenade du Prado –bien nommée «promenade de l’Art»– réunit trois joyaux en la présence du musée national Thyssen-Bornemisza (dont l’intérieur a été rénové par Rafael Moneo), du musée du Prado bientôt transformé par Norman Foster, et du centre d’Art contemporain Reina Sofia, dans un palais réinventé par Jean Nouvel. Sur l’axe Thyssen-Reina Sofia, l’espace culturel Caixa Forum a quant à lui trouvé sa place dans une usine électrique revisitée par l’agence Herzog&de Meuron. Mitoyen, le parc du Retiro, qui compte 125 hectares de jardins, abrite le lac coiffé du monument dédié au roi Alfonso XII, non loin du célèbre Palais de Cristal, bijou romantique construit en 1887.
Au nord, la fontaine Cibeles marque le point de départ de la Gran Via, large voie commerçante qui se parcourt la tête tournée vers les hauteurs, à la recherche de bâtiments emblématiques comme l’édifice des bureaux d’assurance Metropolis. Passées la Puerta del Sol et la Plaza Mayor, à l’uniformité parfaite, apparaissent, au sud, le quartier branché de Malasaña –théâtre de la movida dans les années 1980–, puis les berges de la rivière Manzanares: devenues coulée verte en 2011, elles constituent un exemple réussi d’aménagement durable du territoire. En témoigne la conversion des anciens abattoirs en centre culturel vivant tourné vers la création contemporaine.
L’ÉMERGENCE D’UNE MÉTROPOLE CULTURELLE
En 1561, le choix arbitraire de Philippe II de transférer la chancellerie royale de Tolède vers la petite ville de Madrid a scellé son statut de capitale, au centre géographique de la Péninsule. Elle n’a pas encore l’assise d’une métropole: contrairement à Londres ou Paris, elle tarde à obtenir la légitimité politique, culturelle et surtout économique. Au tournant du XXe siècle, l’essor du réseau ferroviaire et routier lui offre l’opportunité d’accéder à ce positionnement. Le secteur bancaire et les entreprises de télécommunications s’installent à Madrid à partir des années 1910. C’est le percement de la Gran Vía, nouvel axe est-ouest et artère centrale qui, suivant le modèle haussmannien, signe son entrée dans la modernité. Le centre s’ouvre ainsi aux loisirs avec l’apparition de grands magasins, théâtres, cafés et cinémas. Devenu aujourd’hui cinémathèque (la Filmoteca), le Ciné Doré, qui se caractérise par sa façade en stuc, est un exemple flamboyant de cette effervescence culturelle. En un peu plus de cinquante ans, exode rural aidant, la ville en mutation voit tripler sa population et atteint le million d’habitants au milieu des années 1930.
UNE CAPITALE MONARCHIQUE GALVANISÉE
La dynastie des Habsbourg, puis celle des Bourbon laissent une empreinte durable sur l’architecture de la vieille ville, dont la place Puerta del Sol est le pouls. Délimité par la rivière Manzanares à l’ouest, par la porte d’Alcalá à l’est, le centre vit sa première politique d’extension nord-sud en 1860 sous l’impulsion de l’architecte Carlos María de Castro. Les aménagements pallient le manque cruel de logements et s’éternisent jusqu’en 1930, avec l’apparition de nouveaux quartiers comme Salamanca, Chamberí et Argüelles, situés au-delà des enceintes à visée fiscale de Philippe IV (1625). En parallèle, les travaux de la Gran Via font naître les premiers gratte-ciel d’Europe comme l’édifice Telefónica d’Ignacio de Cárdenas Pastor (1929). En 1931, l’État de la IIe République s’empare du projet d’un Grand Madrid qui devient enjeu politique. Dans l’intérêt national, l’Espagne se doit d’être centralisée, et Madrid en être l’étendard. Enfin, les faubourgs s’organisent et se nourrissent de la hausse des loyers du centre. Cherchant à déplacer vers le nord le centre-ville du futur, les ministères s’installent en périphérie: ils sont ainsi à l’origine d’un nouvel espace urbain, que favorise également l’étendue du réseau métropolitain. La seconde vague d’aménagements se situe, bien loin de la période franquiste, dans les années 2000: Madrid vit dans la perspective des Jeux olympiques de 2012. Le projet n’aboutira pas mais une partie des installations prévues verront le jour, comme la Caja Mágica de Dominique Perrault, qui accueille l’Open de tennis de Madrid depuis 2009. C’est l’ouverture attendue vers le sud-ouest et la rivière inexploitée de Manzanares: en amont de l’installation sportive, le projet Madrid Rio assoit cette extension avec succès et confirme l’élan de modernité.
UNE CAPITALE CULTURELLE VIVANTE
Deuxième capitale la plus haute d’Europe, Madrid culmine à environ 600 mètres d’altitude. De Sol à Chueca, en passant par Lavapiés ou Malasaña, elle est riche de quartiers à la singularité très affirmée, bourgeois, alternatifs ou multiculturels, c’est selon. Elle a su contrebalancer une esthétique moins évidente que d’autres villes espagnoles par une énergie sans équivalent. C’est bien dans cette cité, symbole par excellence des fonctions culturelles et administratives, que tout se passe, ici que l’on fait carrière, et que les mouvements artistiques prennent vie. Chaque quartier se déploie autour de son marché, à l’image de celui de la gare centrale d’Atocha, ou du Rastro, marché aux puces dont la fréquentation est un rituel du dimanche. Sans parler des nuits madrilènes, terrain de jeu des gatos, comme on surnomme ses habitants. De dégustations de tapas en verres en terrasse, «Madrid mata» dit le dicton. Elle ne tue pas bien sûr mais épuise, pleine d’un élan digne des plus belles capitales.
⇒ Article paru dans le Hors-série 38 : Week-ends d'architecture
⇒ Lire « CaixaForum Madrid par Herzog & de Meuron »
⇒ Lire « Madrid par Daniel Herrero Vicente »