Depuis les années 1990, Berlin accueille les institutions gouvernementales, dont le Bundestag (Assemblée nationale) et son dôme en lames de verre signé Norman Foster qui offre un magnifique point de vue sur son immense territoire, grand comme dix fois la capitale française, avec 4 000 habitants par km2 (contre 20 000 à Paris). Aussi se découvre-t-elle par quartier et ambiance : de Museumsinsel (l’Île des musées) au cœur névralgique de l’Alexanderplatz et de Mitte qui appartenaient à l’Est, du Ku’damm et de Charlottenburg à l’Ouest, de la douceur familiale de Prenzlauerberg au «beau-bio» multiculturel Kreuzberg, en passant par le quartier alternatif et cosmopolite Neukölln.
MÉMORIAL À CIEL OUVERT
À défaut d’avoir su attirer les investisseurs et grands groupes, la ville fait son devoir de mémoire. À commencer par le musée Topographie des Terrors qui illustre par des documents iconographiques les exactions de la Gestapo et des SS, en lieu et place de leurs quartiers généraux. Si l’extension du Jüdisches Museum de l’architecte américain Daniel Libeskind trouble toujours par ses spatialités contorsionnées où résonne la douleur d’un peuple, les blocs de béton du mémorial de la Shoah de son compatriote Peter Eisenman, à proximité de la porte de Brandebourg, fissurent à cause du passage intensif d’un public qui y voit une aire de jeux (!), ne mesurant pas le sens sous-jacent de ces stèles formant paysage… Dans un autre registre, certains patrimoines guerriers, bunkers et autres vestiges impossibles à démolir, sont réaménagés en galeries d’art de natures différentes, offrant des incursions surprenantes dans ces mausolées de béton. En divers points de Berlin se trouvent par ailleurs des vestiges des 37 kilomètres du Mur qui fracturaient la ville du nord au sud, dès les années 1960 : du Check-point Charlie au Wall Museum, c’est finalement à Bernauerstrasse 111 que l’histoire de cette partition idéologique et physique de l’Allemagne est la plus appréhendable.
UNE ARCHÉOLOGIE COMPLEXE
Avec des collections artistiques exceptionnelles, Berlin est en pleine refonte avec la régénération de l’île des musées: le Neues Museum sensiblement transformé par l’architecte britannique David Chipperfield, et le Pergamon en rénovation sur l’idée de Matthias Ungers (décédé en 2007), relayé par Kleihues+Kleihues. Étirée entre la Spree qui encercle l’île et la porte de Brandebourg, l’avenue Unter den Linden («sous les tilleuls») offre la découverte du monument Neue Wache, composition néo-classique de l’architecte Karl Friedrich Schinkel (1781-1841). Du même auteur, sur la place Gendarmenmarkt, le théâtre de Berlin, reconstruit en 1964 avec une configuration spatiale intérieure radicalement différente de l’original, est à l’identique à l’extérieur. De ce décor urbain émane un sentiment romantique qui contraste avec les grandes allées staliniennes de la Karl Marx Allee, première rue du socialisme de la République démocratique d’Allemagne, située sur la rive opposée. Perspective infinie, cette dernière s’oppose en termes de dimensions et de style à l’artère occidentale commerciale Kurfürstendamm. Un peu éteinte depuis la Réunification, cette avenue accueille le théâtre la Schaubühne dans l’ancien Kino Universum, cinéma des années 1920 d’Erich Mendelsohn. Le tout-Berlin s’y précipite pour assister aux spectacles de répertoire subtilement mis en scène par son directeur, Thomas Ostermeier. Enfin, il faut se glisser derrière la monumentale Potsdamerplatz, témoin de la dynamique de la Réunification, pour aborder le Kulturforum qui abrite plusieurs modèles d’invention spatiale: la Neue Nationalgalerie de Ludwig Mies van der Rohe –pièce magnifique qui devrait rouvrir en 2019 après quatre ans de travaux de rénovation par David Chipperfield–, les collections de la Gemäldegalerie, la bibliothèque et surtout la Philharmonie, toutes deux réalisées par Hans Scharoun. Dans cette dynamique de rénovation, seul bémol, la reconstruction à l’identique du Berliner Stadtschloss (Château historique de Berlin), à côté de la cathédrale. En lieu et place du Palast der Republik, témoin fonctionnaliste non assumé de l’ex-RDA, cette reconstitution en cours est un pur exemple de façadisme néo-classique plaqué sur un coffre commercial en béton.
VILLE-PARC
À l’image de l’immense et central Tiergarten, un ancien terrain de chasse qui jouxte le Parc zoologique, de nombreux parcs agrémentent la ville, dont certaines réappropriations comme à Gleisdreieck sur d’anciennes emprises de chemin de fer. Autre exemple: l’ancien aéroport Tempelhof avec son aérogare dessiné par Ernst Sagebiel en 1934, suivant l’idée conceptuelle d’Albert Speer, architecte du IIIeReich. Avec ses 1230 mètres d’envergure, l’édifice en forme de boomerang en plan en impose. Abandonné dès les années 1975, il a été transformé dans les années 2000 en foire d’exposition, tandis que les habitants se sont réappropriés les tarmacs pour diverses activités: barbecue, vélo, piquenique, planche à voile ou encore cerfvolant. Enfin, en périphérie de la ville, plusieurs lacs accessibles en métro créent de multiples lieux de promenade et de baignade, dans des atmosphères plus ou moins bucoliques. Ces aires de détente –naturistes pour certaines– participent de cet art de vivre berlinois, où plane une douce ambiance, sous le regard bienveillant de l’ange du Friedenssäule («pilier de la paix»), sur Mehringplatz, à Kreuzberg. La mal-nommée «ville grise» l’est certes de l’extérieur, mais est bien plus chaleureuse qu’elle n’y paraît, et ce grâce à ses habitants et sa culture cosmopolite.
⇒ Lire l'article « La fondation Tchoban à Berlin »
⇒ Article paru dans le Hors-série 38 spécial Week-ends d'architecture