Comment a débuté votre collaboration avec Tarkett ?
Nous avons d'abord conçu le stand du fabricant pour le salon du meuble de Stockholm en 2016. La marque participait régulièrement à l'événement, mais trouvait difficile de mettre en scène ses produits et son savoir-faire de façon originale et attractive. Elle voulait essayer autre chose. C'est un vrai enjeu pour les fabricants de matériaux de revêtement. La plupart d'entre eux sort des produits très innovants, très intéressants pour le projet, mais communique à leur sujet de manière trop traditionnelle, et tout le potentiel des matériaux est alors difficile à saisir. En ce qui concerne le vinyle homogène IQ Surface, c'est d'autant plus dommage qu'il offre énormément de possibilités. Il est très résistant, la couche d'usure est dans la masse, il est très fin, donc très souple. Au cours de ce premier projet, nous avons beaucoup appris sur cette matière, et très vite, une question a émergé : pourquoi ne pas le mettre en œuvre sur les murs ou le mobilier ? Nous avons donc créé un espace entièrement recouvert de vinyle. Et le plus drôle, est que tout d'un coup, même Tarkett a pris conscience du potentiel réel de son propre matériau ! Le stand a eu beaucoup de succès pendant le salon, nous avons même gagné des prix. À la suite de cela, le fabriquant nous a proposé d'imaginer une collection.
Sur quels concepts vous êtes-vous appuyés pour concevoir la collection justement ?
La première étape a évidemment consisté à connaître le matériau en profondeur, ainsi que son procédé de fabrication. Il nous fallait mesurer toute l'étendue des possibilités, les limites aussi. Nous avons travaillé deux ans sur le développement, en collaboration très étroite avec l'usine ! Car au final, c'est vraiment de la réflexion sur la manière dont le matériau lui-même est fabriqué qui adonné le concept de la collection et son rendu terrazzo. Et ensuite, cette approche « al lover » nous a paru importante à développer, de manière à ce que la boîte à outils pour les projets soit complète, murs, sols et mobilier compris.
Pouvez-vous développer ?
Pour faire simple, le vinyle homogène est fabriqué à partir de granules de PVC chauffées, puis calandrées entre deux rouleaux sur la chaîne de production. En fonction de la quantité de granules utilisée, du nombre de couleurs, de la température de chauffe, de la pression appliquée par les rouleaux, et de la direction du calandrage, on peut obtenir des résultats très différents. Tout notre travail a reposé sur deux axes : utiliser la machine de façon à créer le bon motif, en l'occurrence cet aspect terrazzo, et à mettre au point une gamme de couleur cohérente avec le projet. Sachant que cette partie a aussi été extrêmement longue ! Aujourd'hui, la collection comprend 27 références dont cinq unis, sachant que chaque couleur est elle-même composée de plusieurs coloris, unis compris. Il a fallu imaginer des recettes ! Quelle pression fallait-il appliquer sur les granules ? À quelle température ? Si les granulés fusionnaient trop, nous risquions de perdre le motif justement. Nous avons vraiment dû apprendre comment fonctionnaient les machines. Mêmes les employés de l'usine ont dû replonger le nez dans les manuels pour répondre à nos questions !
Vous parliez plus haut d'une « boîte à outils complète pour les projets ». En quoi est-ce important ?
À l'agence par exemple, nous menons des projets de design global. Nous dessinons ainsi de l'objet, du meuble, concevons des espaces, etc. L'idée d'utiliser le vinyle homogène comme du textile ou du cuir relève de cette approche. Nous avons déjà eu recours à ce type de matériau, mais rarement pour lui-même. Or en travaillant sur la collection nous avons réalisé qu'il peut être très beau tout seul, et très fonctionnel. Regardez le secteur du retail : un matériau résistant, très abordable….
Ça change du marbre ! C'est pourquoi tout le travail de coloration, de balance entre les unis et les motifs, entre les tonalités très vives et d'autres plus calmes, les foncés et les clairs, a été long à aboutir. C'est ce qui offre la possibilité de composer des espaces expressifs qui convoquent les trois dimensions. Et encore une fois, rien n'aurait pu aboutir sans cette relation très forte que nous avons tissée avec l'entreprise. Entant que designer, il est finalement rare de pouvoir nous impliquer autant dans un projet, d'avoir la main dessus du début à la fin. De pouvoir faire une petite différence, d'influencer la direction que prend un fabricant. Ici, c'est le cas : de la conception de la collection au catalogue, en passant par le stylisme photo, la conception graphique, et évidemment, l'installation au Circolo Filologico pour le lancement au salon du meuble de Milan. Et nous en sommes d'autant plus fiers que c'est la première fois que Tarkett participait à l'événement. C'est en quelque sorte le projet rêvé !
► VIDÉO : Note Design Studio : Formations, Milan Design Week (source : Martyn White Designs )
► Entretien paru dans le cahier design d'Architectures À Vivre 108 spécial Journées d'Architectures À Vivre actuellement en kiosque et disponible sur la boutique en ligne