Rédigé par Raphaëlle Saint-Pierre | Publié le 13/08/2024
À 160 kilomètres au nord de San Francisco, dans le comté de Sonoma, le Sea Ranch compte aujourd'hui plus de 2 000 maisons. Les falaises dominent l'océan Pacifique où l'on peut voir évoluer les baleines, sous un soleil qui transperce des lambeaux de brume. Sur la lande, des cyprès et des pins se penchent, sculptés par le vent, tandis qu'à l'arrière se dresse une forêt de séquoias. Traversés par des chemins de randonnée, les lieux peuvent se découvrir librement. En 1963, Oceanic Properties achète 16 kilomètres de côte pour y développer un programme immobilier d'un nouveau genre sous la houlette de l'architecte et promoteur Al Boeke (1922-2011). Il engage le paysagiste Lawrence Halprin (1916-2009), qui élabore le plan masse du projet en étudiant les sols, la végétation, le climat et l'érosion du bord de mer. « Dès le début, le principal objectif fut de préserver ce qui était écologiquement valable et cela autant que de rendre le terrain plus habitable sans en détruire les beautés naturelles », déclare-t-il en 1966.
L'agence MLTW, composée de Charles Moore (1925-1993), Donlyn Lyndon (né en 1936), William Turnbull (1935-1997) et Richard Whitaker (1919-2021), est choisie pour concevoir le premier ensemble. Sous un immense toit monopente, le Condominium One (photo) est constitué de dix habitations groupées pour se protéger du vent mais aussi pour créer une entité à l'échelle du paysage. Inspirés par l'architecture vernaculaire des anciennes granges et le style Bay Region, que l'on trouve autour de San Francisco, ils optent pour la technique traditionnelle du poteau-poutre avec un bardage de planches verticales en séquoia, destiné à griser avec le temps. L'architecte Joseph Esherick (1914-1998) réalise quant à lui une série de maisons familiales modèles (Hedgerow houses) revêtues de bardeaux de bois.
Nourris par la pensée de la contre-culture, les architectes ont des préoccupations environnementales et une vision de la vie en communauté. Toute leur réflexion se fonde sur le rejet des villas de banlieues uniformes et aux matériaux clinquants. Un cahier de règles encadre les constructions, imposant notamment l'utilisation du séquoia local et le regroupement pour préserver de vastes espaces libres. Ici, pas de séparations entre les maisons, ni de jardins individuels, mais une reforestation du domaine est lancée avec des essences indigènes. L'un des premiers objectifs étant de proposer des habitations à des prix abordables, une série de Walk-in Cabins est également construite dans la forêt. Les premiers équipements communs comptent une épicerie, une poste, un hôtel et un club de sport avec une piscine (Moonraker Recreation Center). La graphiste Barbara Stauffacher Solomon (1928-2024), chargée de l'identité visuelle et de la signalétique du Sea Ranch, y développe les supergraphics.
Son concept consiste à faire courir des fresques géométriques très colorées sur les différentes parois, sans tenir compte a priori de la forme des volumes et des angles, transformant ainsi la lecture de l'espace. Si au fil des décennies l'esprit d'origine n'a pas toujours été respecté et que le Sea Ranch s'est embourgeoisé avec la construction de villas de plus en plus vastes, il demeure un modèle esthétique et de développement durable unique au monde.
À LIRE : Donlyn Lyndon, Donald Canty, Lawrence Halprin, Jim Alinder (photographe), The Sea Ranch. Fifty Years of Architecture , Landscape, Place and Community on the Northern California Coast , Princeton Architectural Press, 2013.