La salle de bains est une pièce importante aujourd'hui, mais au regard de l'histoire, c'est étonnamment récent?
L'histoire corporelle et le rapport à l'hygiène ont lentement fait leur apparition depuis le XVIIIe siècle, mais ce n'est qu'à la fin du XIXe qu'enfin les maisons bourgeoises ont réservé une pièce à cet effet. Dans les années 1870, le baron Haussmann, en travaillant à la mise en place d'un réseau souterrain destiné à la distribution d'eau potable et à l'évacuation des eaux usées, a permis à de nombreux immeubles construits alors de concevoir des appartements intégrant des cabinets de toilette. C'était un grand changement, et c'est vraiment à partir de cette époque qu'il y a une pièce spécialement conçue, même sommaire, et qu'elle s'est démocratisée de manière très progressive. Le courant hygiéniste a beaucoup transformé la société : je citerais en exemple la Villa Savoye de Le Corbusier, en 1930, qui comprend une salle de bains ouverte sur une chambre, tout en mosaïque, très innovante à l'époque. La Villa Cavrois de Mallet-Stevens, qui comporte autant de salles de bains que de chambres. Celle des parents est très grande, tout en lumière naturelle. Et puis dans un autre style, plus tard, la salle de bains standardisée réalisée en polyester par Charlotte Perriand (les Arcs 1800) en 1975. Ça paraît désuet aujourd'hui, mais cela soulignait un travail sur l'ergonomie et la couleur. Elle était facile à monter pour équiper des appartements en un temps record.
Que vous demande-t-on aujourd'hui pour une salle de bains ?
En tant qu'architecte d'intérieur, on mène la restructuration complète de maisons et d'appartements. La salle de bains est l'une des pièces principales, un lieu important, un espace consacré au bien-être, lumineux, confortable. Ce n'est plus seulement utilitaire. La salle de bains est pensée en cohérence avec le reste de l'habitat, son volume et son emplacement sont déterminés en fonction du plan général d'aménagement.
Notre rôle est de comprendre ce que veut la personne qui va y vivre, ses besoins, de le décrire et de le transformer en quelque chose de réel. On cherche un fil conducteur à partir d'une phrase, d'un sentiment de la personne pour qui on va travailler. Souvent les contraintes donnent les idées.
La salle de bains est une pièce très technique. Sur quoi insistez-vous ?
Cette pièce nécessite des intervenants spécialisés : maçons plâtriers, staffeurs, carreleurs, menuisiers, électriciens… Jusqu'à dix corps de métier peuvent intervenir.
Je prévois systématiquement l'étanchéité totale de la pièce avec un SEL (système d'étanchéité liquide) et je fais aussi les murs de la douche avec un SPEC (système de protection à l'eau sous carrelage), Il faut aussi faire très attention aux raccords et aux sorties de la robinetterie. Et aux normes de sécurité, comme le volume à respecter autour d'une douche pour poser un sèche-serviettes , par exemple.
Comment gérez-vous l'éclairage sans lumière naturelle ?
On joue sur des lumières directes, indirectes, des variateurs pour changer l'intensité, avec des produits astucieux : je pense à une douche de tête de Keuco qui associe l'eau et la lumière dans une seule pièce que l'on fixe au plafond de la douche, on évite ainsi le spot, qui crée une ombre portée.
Qu'est-ce que la douche zéro ressaut ?
On en parle beaucoup : cela signifie qu'il n'y a pas de marche pour entrer dans la douche, ce qu'on appelle communément une douche à l'italienne. C'est malheureusement difficile à mettre en œuvre dans une rénovation. J'aime trouver une unité entre le sol, le banc et le mur avec du béton ciré, de la feuille de pierre ou des carreaux de très grande dimension. D'une manière générale, on choisit des carreaux de très grande dimension.
Que sera la salle de bains de demain ?
Soit elle sera plus connectée, soit, au contraire, elle se transformera en un lieu de relaxation où l'eau aura moins de place, où l'on travaillera plus sur la musique, les odeurs… Dans tous les cas, elle sera de plus en plus écoresponsable. Aujourd'hui, la douche prend la place de la baignoire. Les baignoires qu'on installe sont plus petites, c'est un élément qui représente le luxe, sauf avec des enfants en bas âge bien sûr. C'est un objet mis en évidence, dans un écrin, en îlot, avec un autre rôle. Dans une société où l'on manque de temps, prendre un bain, c'est beaucoup plus que se laver, c'est prendre le temps de vivre. C'est toute l'ambigüité de notre époque : on prend une douche pour économiser de l'eau, mais on y reste plus longtemps et elles sont de plus en plus grandes. Les fabricants rivalisent pour trouver des solutions afin d'économiser l'eau sans perdre en confort : douchettes dont le jet change de couleur en fonction de la quantité consommée, affichage des chiffres de la consommation d'eau… Ils mettent au point des systèmes en circuit fermé où est réutilisée l'eau filtrée. C'est à suivre.
Vous avez créé votre agence il y a onze ans, et êtes très investie au sein du Conseil français des architectes d'intérieur (CFAI) et de l'association Pôle Action. Quelle est votre action majeure actuellement ?
On est très investis, on cherche à entraîner les clients et les fabricants vers plus d'écoresponsabilité. Lors du dernier Salon Ideo Bain, en 2022, on a remis des prix à trois entreprises pour les encourager dans ce sens. On y sera en septembre prochain lors de tables rondes.