C’est une retraite, presque à l’écart du temps. Un refuge pour l’esprit, le corps… et les papilles. Mais c’est aussi et surtout une histoire de famille : celle des Haeberlin, qui depuis 1882 président aux destinées de l’Auberge de l’Ill, la lignée se succédant avec réussite derrière les fourneaux de cette institution ancrée dans le petit village alsacien d’Illhaeusern, à quelques kilomètres au nord de Colmar.
Presque 150 ans après ses premiers plats, on jurerait presque que le paysage bucolique de carte postale alentour est resté le même : un petit coin de paradis entre cours d’eau, jardins paysagers, potagers et séchoirs à tabac. Avec trois étoiles au Guide Michelin, et ce sans interruption depuis 1967 – seul Paul Bocuse fait mieux –, le restaurant accueille aujourd’hui les gourmets des quatre coins du globe, émerveillés par les classiques revisités et les créations du chef Marc Haeberlin, entouré de sa sœur Danielle Baumann et de ses enfants. Attenant à l’Auberge, l’Hôtel des Berges, fondé en 1992 sous l’impulsion de Marco Baumann, le mari de Danielle, connaît le même succès. Afin d’augmenter sa capacité d’accueil, la famille décide cette année de le doter d’une nouvelle annexe. Le choix des concepteurs est évident : Patrick Jouin et Sanjit Manku ont déjà œuvré au réaménagement de l’architecture intérieure du restaurant en 2007 et livré il y a deux ans les Haras de Strasbourg, première brasserie du chef. Le tandem, en collaboration avec l’architecte local Silvio Rauseo, se voit cette fois-ci donner carte blanche pour imaginer « un lieu de repos et de relaxation, comme une parenthèse dans un temps suspendu ». Cette approche quasi mystique est le point de départ du Spa des Saules, ainsi nommé en hommage aux saules pleureurs de la propriété. Son volume aux dimensions généreuses, librement inspiré des charpentes des vieilles granges alsaciennes, démontre l’intentions de ne conserver que l’essentiel et se débarrasser de toute ornementation. Les matériaux – palette réduite de chêne, béton banché, tuiles anthracites de pierre grise et lisse – sont conservés bruts, dans toute leur force naturelle. À l’intérieur, la même recherche d’authenticité guide l’aménagement des lieux. Au rez-de-jardin, le spa est organisé en enfilade de pièces, où l’atmosphère épurée et sensuelle est propice à la relaxation et à la détoxication. Un havre de paix avec bassins à différentes températures, lumineuse piscine extérieure en inox et soins inspirés des bains romains alsaciens. Si ici on soigne les corps, à l’étage c’est au tour de l’esprit d’être choyé dans les cinq suites de 40 mètres carrés. Sous 7 mètres de hauteur sous plafond, ces cocons où tout ou presque est dessiné sur-mesure – de l’étonnante tête de lit en tissu au bureau en épaisse planche de chêne ou au volet articulé qui camoufle la télévision – sont de parfaites invitations à l’introspection. Partout, on est frappé par la justesse et la beauté des détails, toujours au service du fonctionnel. Le travail de Patrick Jouin et Sanjit Manku semble révéler le meilleur de chaque élément, à l’image de la lumière naturelle qui, grâce au travail de leurs mains habiles, devient matière. Ultime étape avant l’illumination : la chapelle, située au bout du couloir qui distribue de manière très cinématographique les chambres, offre un dernier lieu de méditation inattendu. Au final, que ce soit dans les assiettes, les bassins ou les chambres, tout n’est question ici que d’harmonie.
Article publié dans Architectures à vivre 93 (janvier-février 2016)