Il faut s’imager au Moyen Âge, au cœur de collines verdoyantes à la terre fertile et aux cours d’eau nourriciers. Là, à Saint-Vincent-des-Prés, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de l’abbaye de Cluny, qui rayonnait alors bien au-delà du seul site de son abbatiale, fut érigée au XIe siècle une chapelle, lieu central d’un doyenné fortifié où vivaient des moines qui fournissaient céréales, bois et vin à l’abbaye. Cette sorte de coopérative agricole médiévale était à son origine réduite à un logis, une tour de garde et la chapelle. Au fil du temps, des constructions successives ont étoffé le lieu, essentiellement des granges et habitations. À la Révolution, l’ensemble est divisé en quatre propriétés distinctes. C’est dans l’une d’elles que l’architecte Ludovic Forest élit domicile il y a quelques années. Il redonne alors vie à la tour de garde et au logis en les restaurant et en y ajoutant une extension contemporaine. C’est lors de leur visite pour découvrir ce lieu de résidence insolite, qu’un couple d’amis et ses quatre enfants décident d’installer leur pied-à-terre sur la propriété voisine qu’il leur fait visiter: la chapelle et ses dépendances inhabitées depuis les années 1980. Expatriés vivant alors en Afrique du Sud, ils tombent sous le charme de la campagne et de ce hameau où résident à l’année une vingtaine de personnes. Pour «valoriser ce qui est ancien avec du nouveau», ils font naturellement appel à Ludovic Forest.
CONJUGUER À TOUS LES TEMPS
Leur vie à l’étranger leur a fait connaître les plaisirs de maisons largement ouvertes sur l’extérieur, mais le climat bourguignon s’y prête peu. Les bâtiments existants ne permettant pas ce style de vie, l’architecte propose alors une extension contemporaine largement vitrée qui prend place le long d’une courtine1, sur une surface vierge.
Depuis cette position géostratégique, c’est alors le rapport visuel entre dedans et dehors qui prime, les vues sur le paysage proche et lointain.
Le choix est fait de rendre à la chapelle son aspect initial, à savoir le simple volume de la nef en supprimant le plancher et les cloisons qui avaient été ajoutés pour en faire une habitation. Ces mètres carrés de logement, en quelque sorte perdus, sont transférés vers l’extension où se situent la pièce de vie principale en rez-de-jardin et les chambres des enfants à l’étage – auxquelles on peut accéder directement par une passerelle. L’ancienne maison qui prolonge la chapelle romane est réhabilitée pour accueillir les espaces dédiés aux parents. La grange reste un lieu de rangement et peut à terme accueillir des chambres d’amis supplémentaires.
UN CONTEXTE HISTORIQUE RICHE
Envisager des travaux dans un tel contexte – la chapelle a été inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1948 – n’est pas sans impliquer un nombre important de référents extérieurs. Conscient de la richesse historique du site, les propriétaires ont demandé à la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC Bourgogne) et aux Services départementaux de l’architecture et du patrimoine (Sdap) que des fouilles diagnostiques soient menées. Leurs résultats attestent d’une occupation remontant jusqu’à l’époque galloromaine2. Il a donc été convenu entre DRAC et architecte que la nouvelle construction, contrainte de ne pas dépasser le point le plus haut de la courtine, « aurait un impact limité sur le sous-sol et qu’aucun ancrage ne viendrait perturber les dispositifs en place, ou compromettre la conservation des éléments archéologiques ». Par ailleurs, il était interdit de fixer quoi que ce soit, de modifier, de boucher les trous ou d’enduire les murs existants de l’enceinte. S’ils donnent à l’extension tout son caractère, la nouvelle structure en est désolidarisée, autonome. Ces deux contraintes majeures ont induit un principe constructif modulaire, avec un volume bas vitré composé de portiques métalliques fixés au sol par des plots béton de faible profondeur (à environ 80 centimètres de la surface, soit au dessus du niveau d’occupation historique). À l’étage, les trois volumes en ossature bois débordent de part et d’autre sur les porte-à-faux d’1 mètre.
La particularité est qu’ici l’architecte a conçu en collaboration avec l’ENSAM3 des panneaux contrecollés autoporteurs en chêne massif. «C’est une première car jamais cette essence n’a été utilisée pour ce type de procédé », se félicite Ludovic Forest.
Cette démarche est tout à fait révélatrice de l’esprit qui anime l’architecte pour qui ce type de projet donne « l’impression d’écrire une nouvelle leçon d’architecture », le plaisir de justifier cette « combinaison de contraintes et de possibilités offertes ». En témoignent le traitement des apports de lumière naturelle, l’audace de composer un bastion vitré.
1Dans l’architecture militaire médiévale, une courtine est un mur qui relie des tours ou des bastions, le plus souvent couronné de mâchicoulis et d’un parapet crénelé.
2Suite aux résultats de ces fouilles, la protection au titre des monuments historiques a été étendue à l’ensemble du doyenné, sous-sol compris.
3Il s’agit de la branche de l’École nationale supérieure des arts et métiers du campus de Cluny. Le procédé a été développé avec l’association Bois Croisés de Bourgogne.
⇒ Article paru dans Architectures À Vivre 102 spécial Journées d'Architectures À Vivre