Pourriez-vous nous raconter votre première commande ?
C'était en 2010, j'avais 25 ans et seulement 18 mois d'expérience en agence. Ma compagne, qui venait de démarrer un nouveau job sur Lyon où je n'étais pas encore installé, m'explique que l'un de ses collègues est à la recherche d'un architecte pour reconvertir un ancien café-restaurant en maison. Je l'ai appelé en lui expliquant que j'étais moi-même candidat. J'ai rassemblé autour de moi deux copains de promo, nous avons remporté le petit concours sur esquisse qu'il avait organisé. Nous avons monté Dank Architectes en même temps que nous avons déposé le permis de construire. Le client nous a fait confiance, nous laissant nous charger de la conception complète. Nous avons pris des photos, le projet a été pas mal publié. L'agence était lancée ! L'année dernière, les clients m'ont rappelé pour me dire qu'ils venaient de vendre cette maison et m'ont réengagé pour leur prochain projet. Nous travaillons dessus en ce moment même !
La personnalité d'un client a-t-elle une influence sur le projet ? Comment la traduisez-vous ?
Oui, je pense que c'est la base ! En travaillant essentiellement pour des particuliers sur des maisons individuelles, le risque est de se retrouver face à des demandes similaires et, in fine, que chaque maison cultive trop de similitudes avec la précédente, car nous avons finalement tous des besoins assez proches. J'explique donc à mes clients que l'un des enjeux des échanges préalables est de réussir à extraire des singularités fortes de leurs besoins, de leurs aspirations, de leur mode de vie, pour que chaque projet soit à la fois unique et sincère. Ce sont des paramètres qui influent vraiment sur la structure et l'organisation du programme, et qui pourront se traduire par la manière d'arbitrer les relations entre les différents espaces, par une réflexion sur des lieux multiusages qualifiés, par des configurations spatiales inédites, ou encore par le recours à des matériaux spécifiques. Le tout sans jamais oublier l'aspect « revente » : il ne faudrait pas tomber dans une configuration trop atypique que personne ne pourrait se réapproprier ensuite. L'idée est bien de dessiner un lieu comme on écrirait une histoire, à la fois intime et cohérente.
Intégration, contraintes réglementaires, techniques et économiques, désirs des clients, enjeux environnementaux… Comment arbitrez-vous entre tous ces éléments ?
Nous évoluons dans un environnement de contraintes qui sont un peu comme les règles d'un jeu. De l'extérieur, je comprends que cela puisse faire peur, voire décourager certaines personnes, mais c'est aussi (et surtout) ça, être architecte ! Selon moi, il est important de « charger » le projet de plaisir et d'envies dès le début, car c'est grâce à cette ambition initiale que l'on traversera au mieux les étapes suivantes sans démotiver les troupes ni perdre en caractère. L'acte de construire ou de rénover son lieu de vie doit être plaisant à « imaginer » pour que le projet le soit aussi à « habiter » ! Je demande souvent à mes clients de me faire leur « liste au père Noël » quand je vois qu'ils sont trop classiques dans leur façon d'aborder le programme. Cela permet d'ouvrir le champ des possibles, de comprendre quels aspects du projet il est important de privilégier et me donne ensuite matière pour établir une synthèse juste entre considérations juridiques, techniques, paysagères et financières. Enfin, lorsque c'est nécessaire, je propose à mes clients de faire plus petit ou d'adapter le niveau de certaines prestations pour m'assurer qu'il reste le budget nécessaire à la finalisation du projet (agencement, éclairage, aménagements paysagers, voire ameublement). Ils pourront ainsi profiter le plus vite possible de leur nouveau chez eux. C'est aussi là que se joue la fidélité du rendu et de l'expérience promise en phase esquisse…
« L'acte de construire ou de rénover son lieu de vie doit être plaisant à imaginer pour que cela le soit aussi à habiter ! »
10 questions pour croquer Thibaut Chanut
Quels sont vos trois matériaux fétiches ?
Béton brut, bois de sciage, acier laqué.
Elle ressemble à quoi, votre maison idéale ?
Une maison discrète, en lisière de forêt, avec vue, très largement vitrée, avec une cheminée, une douche extérieure et un parterre de fougères.
Votre portrait en trois objets ?
Une montre en bois offerte par mes filles pour la fête des pères ; un fauteuil Facett des frères Bouroullec pour Ligne Roset (option pied pivotant !) offert par ma mère à l'occasion de mon diplôme (j'en avais toujours rêvé !), un Opinel légué par mon grand-père à son décès.
Sur quel projet rêvez-vous de travailler ?
Un projet d'hôtellerie de plein air en collaboration avec un architecte-paysagiste. Un projet très dilué dans son site, presque invisible…
Inversement, lequel vous déplairait absolument ?
Un immeuble de logements collectifs sans ambition.
Votre premier souvenir architectural marquant ?
Les greniers de chez mes grands-parents : charpente apparente, volumes sous rampants, lumière zénithale, toiles d'araignées, grincement des planchers, odeur de renfermé et vues inédites depuis les lucarnes, tout un univers !
Si votre œuvre était un film, lequel serait-ce ?
Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, (2001) de Jean-Pierre Jeunet qui laisse entrevoir dans chaque chose une dimension à la fois idéaliste et poétique.
Un mot pour définir votre métier ?
Engagement !
Pourquoi l'avoir choisi ?
Pour concilier ce qui me plaît : l'échange et le dialogue, la création, le dessin…
Quelle est la demande la plus improbable qu'un client vous ait faite ?
Un client potentiel qui me demande après 3 heures d'entretien de lui faire un croquis de sa future maison en 5 minutes, pour voir si j'avais bien compris ce qu'il attendait… Une finalité qui, si on veut qu'elle ait du sens, prend en réalité plusieurs semaines.