Rédigé par Raphaëlle Saint-Pierre | Publié le 13/11/2020
En 2014, un couple de parisiens qui travaillent dans le milieu de l'art achète un terrain nu de 1 000 mètres carrés dans les Alpes, à mi-chemin entre le village de Manigod et le pied des pistes. Hervé et Nina viennent depuis de nombreuses années dans cette vallée préservée pour skier avec leurs quatre enfants. Ils se tournent vers leur ami architecte Alireza Razavi, dont l'agence se partage entre la France et les États-Unis, avec une seule requête : pas de chalet traditionnel. La commune, qui veut défendre son patrimoine tout en évitant le copier-coller historique, a confié la rédaction d'un nouveau cahier de prescriptions à un architecte local. « Notre projet répond parfaitement à ces réglementations, pourtant nous avons eu du mal à le faire accepter. Bien qu'ils souhaitaient introduire un langage moderne, le maire et son adjoint étaient paradoxalement assez résistants », s'étonne encore Alireza Razavi.
UN PATRIMOINE VIVANT
La parcelle présente une très forte déclivité, sans aucun terrassement naturel. La seule façon d'intervenir est de s'inscrire en retrait de la pente grâce à un enrochement*. L'implantation de la maison vers le sud et la vue s'impose. Puisque plus personne ne fait de la maçonnerie structurelle, il paraît plus juste à l'architecte de laisser apparent le soubassement en béton brut de décoffrage plutôt que de le cacher avec un parement de pierre. D'ailleurs, lorsqu'il n'y a pas de neige, le lien entre le sol naturel, caillouteux et gris, et le béton est évident. Un choix difficile à faire comprendre à la mairie, tout comme l'absence de porte de garage : « Je leur ai expliqué que le dialogue entre les ombres faisait le projet, que l'ouverture du garage était prévue pour alléger la lecture du chalet et qu'une lourde porte aurait enlevé l'impression qu'il tient sur deux feuilles, éclaire Alireza Razavi . Il y a une notion d'abstraction fondamentale à mes yeux qui nous empêche de tomber dans le pavillonnaire. » La grande baie vitrée au dernier étage ne convient pas non plus au service instructeur du permis de construire. Pour convaincre le maire, l'architecte va prendre une photo en se plaçant très haut sur le terrain afin de montrer ce que la vue panoramique donnerait de l'intérieur et lui demande ce qu'il ferait si cette maison était pour lui. Autre point d'achoppement : l'absence de débord de toiture. Pugnace, Alireza Razavi n'est jamais à court d'arguments et démontre qu'autrefois ce débord servait à abriter des activités, des outils, du bois, et qu'il n'y en avait donc aucune nécessité dans le cas présent. Après de nombreux échanges et l'envoi d'images de chalets contemporains réalisés dans la Suisse voisine, il parvient finalement à faire accepter le projet dans sa globalité, tel qu'il l'imagine.
« Nous leur avons dit que pour défendre un patrimoine, il fallait qu'il vive et évolue, sinon on tombe dans le pastiche et c'est la mort assurée », appuie l'architecte.
BOÎTES SUPERPOSÉES
L'idée qui préside à la conception est celle de trois boîtes posées l'une sur l'autre : un socle, un étage sous forme de « clin d'œil à la villa Savoye » et, en léger encorbellement, « l'expression pure de la toiture de chalet ». Cette lecture du bâtiment est accentuée par les lignes d'ombre dessinées par le retrait de 3 centimètres entre chacun des niveaux et le changement de direction du bardage, que l'architecte avait remarqué sur les chalets anciens. Bien que ce soit partout du mélèze thermo-traité, le rendu se révèle totalement différent lorsque le bois est posé à l'horizontale ou à la verticale. « Je ne pensais pas que le contraste serait aussi fort. J'ai d'abord cru à une erreur, finalement c'est génial ! », s'amuse-t-il. Pour créer un maximum de couchages dans les 200 mètres carrés, Alireza Razavi minimise le plus possible les circulations. Les habitants arrivent dans un espace relativement comprimé et éclairé en second jour, une entrée-vestiaire où ils peuvent se déchausser, puis montent dans la pénombre à l'étage des chambres avant de grimper vers la lumière et le volume du séjour. « C'est un trait commun à tous mes projets : j'attache beaucoup d'importance à la progression sensorielle », détaille l'architecte.
CADRAGE DE LA NATURE
À l'intérieur, les variations de couleurs sont limitées à la teinte claire du bois naturel, au gris et au noir. Une seule option perturbe Hervé et Nina : ils souhaiteraient que la charpente reste apparente dans le salon. Mais l'architecte ne cède pas : « Je leur ai expliqué que toute l'énergie de l'espace était tendue vers la vue et que si on introduisait des lignes perpendiculaires, ce serait fichu... » Sans compter que l'uniformité du revêtement en pin favorise une diffusion plus douce de la lumière et agrandit visuellement l'espace relativement exigu. Alors que la baie vitrée du salon est fixe et son large encadrement non accessible, la mairie commence par exiger un garde-corps. « La continuité de la surface en bois de l'intérieur vers l'extérieur est essentielle pour l'agence. C'est une position quasi philosophique : le cadrage de la nature a toujours été l'un des grands rôles de l'architecture, du Japon traditionnel à Versailles. À partir du moment où il y a un garde-corps devant cette vue, l'ambition est finie » , insiste Alireza Razavi, qui a vécu à Tokyo. En revanche la grande croix asymétrique qui divise la baie en quatre joue un rôle aussi bien constructif qu'esthétique. Elle soulage la charge de neige du toit et participe à la réduction de son épaisseur. « Le projet n'aurait pas autant de force sans cette croix, aussi bien de l'intérieur que de l'extérieur. Nous aurions perdu quelque chose de la tectonique du bâtiment et la vue aurait été presque exhibitionniste. » Le combat en valait la peine car depuis la fin de son chantier, le chalet est devenu une référence dans les alentours, comme l'ont révélé le maçon et le menuisier à l'architecte. « Forcément, c'est le seul qui ne ressemble pas à celui de Heidi ! » , se réjouit Alireza Razavi.
*Sur un terrain en pente, l'enrochement est la création d'un mur de soutènement à l'aide d'énormes blocs de pierre.
FICHE TECHNIQUE
♦ architectes studio razavi architecture Alireza Razavi
www.studiorazavi.com
♦ localisation Manigod (Haute-Savoie)
♦ livraison 2016 / études 9 mois
♦ travaux 14 mois
♦ surface 200 m²
♦ matériaux béton (structure) / mélèze thermo-traité (bardage) / bac acier laqué (couverture) / bois et aluminium (menuiseries) / fibre de bois et polystyrène extrudé (isolation) / carrelage (revêtement) / pierre locale (sols) / grès cérame (revêtement salle de bains) / parquet chêne (sol R+2) / pin naturel (mobilier intégré)
♦ fournitures menuiseries aluminium Minco / porte extérieure Hormann / bardage bois façade Sivalbp / étanchéité Sika / carrelage Mirage / appareillages électriques THPG / poêle Fondis / cuisine Schmidt / robinetteries Dornbracht / lavabos Alape / sanitaires et bacs de douche Duravit