Rédigé par Maëlle Campagnoli et Marion Le Berre | Publié le 06/01/2015
Architectures à vivre : Comment est née Hartô ?
Amandine Merle : Après une école de commerce et quatre années passées dans un cabinet de conseil, j’ai souhaité créer ma propre société. Au départ, rien ne me destinait à choisir ce secteur, même si j’ai toujours aimé l’art de vivre, la décoration. Tout s’est joué sur la rencontre avec Alexandre, un ami d’ami qui avait créé un site marchand de mobilier multimarque, et tenté de faire de l’édition, toujours sur Internet. Il souhaitait donner une autre direction à son entreprise, et m’a proposé de la reprendre. J’ai bien étudié le projet. Pour moi, l’opportunité sur le marché se trouvait plutôt du côté des meubles de créateurs. Le site a donc fermé, et après une grosse année de travail, nous nous sommes lancés en 2013. Notre réflexion a été la suivante : voulions-nous être un éditeur plus ou moins classique, ou aller plus loin dans la construction d’une marque, avec une identité forte et un univers ? Nous avons bien sûr choisi cette option ! Pour ce faire, nous avons décidé de faire confiance à une direction artistique, et de recruter quelqu’un qui en serait le garant. J’ai passé une annonce, et là encore, c’est une histoire de rencontre, avec Pierre-François Dubois et Pauline Gillain. Aujourd’hui, ils sélectionnent les projets et en créent parfois eux-mêmes, donnant une cohérence forte à l’ensemble de la collection.
A.À.V. : Quel a été votre leitmotiv ?
A.M. : Créer une collection avec du sens, composée d’objets qui se répondent, et d’où un univers se dégage. Je me reconnaissais dans un milieu urbain, dans de petits appartements. J’avais donc envie d’apporter une solution maligne, avec un mobilier qui soit abordable et adaptable, des pièces qui par leur fonction ou double-fonctions, taille, etc., nous facilitent la vie au quotidien. La ligne éditoriale a été structurée autour de cela. Le bureau Honoré, par exemple, possède un pupitre amovible, qui avance et recule pour faire apparaître un rangement avec les passe-câble, etc., que l’on ne devine pas forcément de l’extérieur. Le pied de la lampe Josette est, lui, équipé d’un plateau pour offrir une solution en bout de canapé. D’autres, comme le secrétaire Gaston, n’ont pas d’astuce cachée, mais proposent des alternatives, en étant à la fois bureau d’appoint, console d’entrée, petit meuble de rangement, etc. La table basse Colette, dans la nouvelle collection, est carrément extensible. Comme une table gigogne, mais plus facile à utiliser. D’autre part, nous avons vraiment travaillé les détails de style, pour donner aux pièces un vrai aspect décoratif. Enfin, lorsque qu’Alexandre et moi avons expliqué le projet à Pauline et Pierre-François, nous avons insisté sur la gaîté, l’optimisme, pour contrecarrer un peu le côté sinistre du monde actuel, avec des difficultés économiques certes réelles, mais qui nous envahissent. La couleur est un bon moyen d’y parvenir, en mêlant des tons acidulés et d’autres plus pastels.
A.À.V. : Là où d’autres préfèrent se lancer avec de petits objets, vous êtes allés directement vers le meuble. Pari risqué ?
A.M. : Pas tant que ça. Au début du projet, nous avons passé presque 6 mois à étudier le marché, afin de structurer une offre pertinente. Tout de suite, nous avons visé le meuble, avec autour des petits objets de décoration pour agrémenter et renforcer notre univers. Aujourd’hui, c’est sur le mobilier que nous réalisons le plus gros de nos ventes. Nous nous sommes lancés avec trois modèles de bureaux : Hyppolite, de la créatrice Florence Watine, Honoré, dessiné par Pierre-François Dubois, et en janvier le petit Gaston, également signé Florence. Le créneau était alors peu occupé, ce qui nous a permis d’entrer chez des revendeurs, qui se sont ensuite intéressés au reste de la collection. Nous sommes devenus « Les petits bureaux sympas ».
A.À.V. : Vous ne souhaitiez travailler qu’avec de jeunes designers inconnus ?
A.M. : Au départ oui. Ensuite, nous nous sommes vite rendu compte que nous avions envie que des designers comme Guillaume Delvigne ou Benjamin Graindorge puisse faire partie de l’aventure, parce que nous aimons ce qu’ils font, qu’ils ont de l’expérience, donc un recul appréciable sur leur travail, une volonté de coopérer, de faire évoluer le projet en fonction des contraintes de l’éditeur, une maturité, et qu’il était simplement dommage de se couper de toute une partie du paysage créatif. Avec un jeune designer, c’est parfois plus compliqué. Le dessin doit rester tel quel, la souplesse est moins grande, l’enjeu personnel peut-être plus important aussi. Néanmoins nous ne cherchons pas non plus à capitaliser sur des signatures. Aujourd’hui, après un an d’existence, avec de la reconnaissance, des designers plus confirmés commencent à se montrer intéressés. Du coup, il faut aussi rester vigilant. Quelqu’un de talentueux, qui a fait des pièces que l’on aime beaucoup et avec qui on pourrait travailler, sera-t-il capable de correspondre à ce que l’on souhaite faire, et ne pas tomber trop facilement dans la signature justement ?
A.À.V. : Comment envisagez-vous la suite ?
A.M. : Notre priorité est de faire avancer la collection, au rythme de 5 à 10 pièces par salon. Ensuite, nous souhaitons développer nos points de vente, des projets pour l’hôtellerie, la restauration, etc., et enfin aller à l’étranger. C’est l’étape clé de l’année prochaine. Sur la partie création, le rythme est bon, grâce à un fort partenariat avec nos fabricants, et surtout à toute l’énergie que Pauline et Pierre-François déploient ! Nous avons réussi la première partie du pari, émerger et susciter de l’engouement : nous sommes visibles dans la presse, les revendeurs nous appellent, etc. Néanmoins nous ne savourons pas totalement. Nous sommes conscients des difficultés du contexte. Serons-nous assez fort pour continuer ? En même temps c’est très excitant, et je ne pense d’ailleurs pas qu’il y ait une telle effervescence sur l’édition dans les pays qui nous entourent. Le mouvement est très dynamique !