Nous sommes au 35 avenue de l'Opéra, nouvelle adresse hybride que vous avez récemment livrée pour le chef pâtissier Cédric Grolet. Pourriez-vous nous expliquer votre travail sur cette réalisation ?
Ici, c'est une démarche un peu particulière, car lorsque l'on collabore avec un chef, l'objectif est de retranscrire son univers de manière architecturale. Celui de Cédric Grolet est assez sobre, assez pur. C'est une contrainte que nous avons essayé de respecter tout au long de la conception. C'est aussi pour lui que nous avons multiplié les références au végétal, en clin d'œil à la fleur qui est la signature de Cédric. Par ailleurs, à l'agence, nous faisons toujours en sorte de proposer une expérience aux visiteurs. Ici par exemple, tout commence dès l'entrée, avec cette grande vitrine qui permet de voir depuis l'avenue les pains sortir du four, les équipes terminer de dresser les pâtisseries. Les deux comptoirs qui se font face, l'un brut, habillé de pierre, et l'autre blanc, très lisse, participent de cette expérience. Même chose à l'étage : l'après-midi, lorsque le lieu se transforme en salon de thé, le chef pâtissier est là, au comptoir, et il prépare son dressage sous vos yeux. C'est ce qui explique la présence de ce miroir au plafond : vous pouvez voir ses gestes où que vous soyez.
Vous parlez beaucoup d' « expérience ». Est-ce à dire que vous travaillez sur une forme de storytelling dans vos projets ?
Oui, bien sûr ! L'une de nos dernières réalisations est le Chouchou, qui ouvrira à Paris en septembre. Ce sera un lieu hybride : un hôtel, un spa, et un food court, une sorte d'agora que nous avons pensée comme une guinguette contemporaine. Au tout début de sa conception, comme souvent, nous avons commencé avec des mots. Ici c'est vraiment l'expression « guinguette contemporaine » qui nous a guidés, c'est un concept que nous avons décliné dans les différents espaces. L'objectif, à la fin, c'est de ramener de la vie : créer des lieux où l'on oublie les soucis du boulot, où l'on se détend.
D'où vous vient cette spécialisation dans le retail ?
Je préfère parler de « lieux de vie », c'est comme cela que je les définis. À l'origine, j'ai une formation de designer, j'ai fait l'École supérieure d'art et de design de Saint-Étienne (ESADSE). J'ai travaillé pour Philippe Starck pendant un an avant de partir chez un ancien de ses collaborateurs, Imaad Rahmouni. C'était il y a 15 ans et ses principaux clients étaient David Guetta et les frères Pourcel. Eux avaient un restaurant dont ils vendaient la carte au monde entier, et à chaque fois, j'étais en charge de ces nouvelles adresses, à Bangkok, Londres, Marrakech, etc. J'ai vadrouillé comme cela pendant plusieurs années et m'en suis fait une spécialité. Quand j'ai créé mon agence il y a 12 ans, j'ai naturellement continué à faire des projets de restauration et d'hôtellerie…
En 15 ans, avez-vous remarqué une évolution des besoins et des attentes des clients ?
Dans l'hôtellerie, l'évolution est flagrante : il y a 10 ans, à Paris, ce secteur était vraiment très en retard par rapport à d'autres capitales. Depuis, les propriétaires d'hôtels ont compris que leur clientèle pouvait être locale et qu'il leur fallait apprendre à l'attirer.
Cette évolution a-t-elle des conséquences sur la façon dont vous travaillez ?
En effet. Traditionnellement, quand vous arrivez dans un hôtel, il y a un grand desk avec un réceptionniste derrière, ce qui crée une barrière dès l'entrée. Ce qu'il faut, c'est de l'ouverture : on ne rentre plus aujourd'hui dans un hôtel, mais dans un lieu de vie, c'est cela que le secteur doit arriver à mettre en place. Proposer un endroit où les clients viennent manger, se détendre, boire un verre, travailler, et éventuellement dormir. Cela implique de développer de nouveaux codes, de nouvelles typologies. C'est ça qui est hyper intéressant !
Et le COVID-19 dans tout ça ?
Pour l'instant, les demandes de mes clients n'ont pas changé, et quand j'aborde le sujet, ils ne veulent pas en entendre parler. Quand ils viennent me voir, c'est généralement pour un projet dont la durée de vie sera d'au minimum 8 ans. Pour le moment, ils espèrent que d'ici quelques mois, tout cela sera derrière nous et que nous reprendrons nos anciennes habitudes. La solution que je vois est plutôt dans la mobilité des choses, surtout dans la restauration. Ce qui sauve les petits restaurateurs, c'est de pouvoir coloniser les terrasses, alors il leur faut utiliser du mobilier qui puisse aussi aller à l'extérieur. Évidemment, si la situation perdure jusqu'à l'hiver, là, il y aura un impact et il faudra tout repenser…
► Interview parue dans Architectures À Vivre 115 : extensions & surélévations disponible sur la boutique en ligne