Rédigé par Jean-Philippe Hugron | Publié le 19/10/2021
Il existe, à Paris, une rue de l'Harmonie ; située dans le 15e arrondissement, elle se cache en marge des lignes de chemin de fer courant vers l'ouest du pays. Elle traverse, de sa centaine de mètres, un quartier qui n'a pourtant rien d'harmonieux. Aussi, la joyeuse dissonance qui la caractérise fait d'un toponyme une douce ironie. Prononcé à l'oreille du duo d'architectes Maria Giulia Rotunno et Ary Justman, il s'est davantage fait un ordre, sinon le programme d'une construction nouvelle, d'une discrète surélévation par-dessus un petit immeuble érigé au début du XXe siècle. À cette époque, il dominait, du haut de ses trois niveaux, entre garage et maison, un modeste alignement. À force des années, il a pris les contours d'une dent creuse : deux opérations récentes de logements un tantinet ingrates encadraient ainsi un vide qui n'attendait que d'être comblé. Or, « les surélévations sont avant tout une question de poids, plus encore quand il s'agit de les réaliser sur des ensembles partiellement fondés », indique Ary Justman. En sous-sol, une carrière promet en effet de ne plus rien supporter et, des années durant, les ingénieurs invités à calculer l'extension de cette adresse contrariaient le désir d'un unique propriétaire de voir plus haut. « Il fallait en effet construire moins de 10 % du poids total », précise l'architecte.
De part et d'autre de la parcelle, les logiques immobilières du marché et l'opportunité de démolitions/reconstructions ont permis de combler les sous-sols et d'offrir une assise stable. Une piste que les architectes se refusent à suivre. « Par conviction, nous n'avons pas souhaité une telle opération. Détruire est aujourd'hui une aberration. En outre, il était plus avantageux de conserver l'existant d'un point de vue économique », argumente Ary Justman. La problématique du poids demeure insoluble ; un regard rétrospectif livrera la solution. Trente ans auparavant, l'immeuble - autrefois un hôtel - avait subi d'importants travaux de transformation : des cloisons avaient été abattues mais, surtout, les planchers avaient été remplacés par des dispositifs plus légers. La surélévation était en fait, par une judicieuse arithmétique et par effet de compensation, bel et bien envisageable.
Surélévation flottante
Pour répondre à la commande, les deux associés, qui se sont rencontrés au sein des bureaux parisiens de l'architecte japonais Sou Fujimoto, adoptent une approche singulière : « Nous travaillons avant tout la perception », résume Ary Justman. Au regard du front bâti, mais aussi en souvenir d'autres surélévations réalisées à Paris, il s'agit de ne pas être dans le simple comblement d'un vide. « Le thème envisagé, plus que la légèreté, était l'apesanteur », résume-t-il. Pour définir des volumes, des maquettes sont réalisées. À mesure des études, les deux étages supplémentaires se différencient. Le premier, légèrement en retrait, offrira un balcon mais aussi une jardinière de bambous. Le second, reprenant la trame de l'existant, semblera, par le bel artifice imagé en dessous, parfaitement suspendu. Le tout sera généreusement ouvert, d'un côté comme de l'autre, face à la rue, face à la cour.
Confort de vie
L'appartement du dernier étage propose, en outre, un volume généreux. Le salon s'ouvre sur l'arrière. Les chambres sur la rue. La lumière y est filtrée par des tôles très finement perforées. Comble du luxe, la salle de bains présente elle aussi une large baie vitrée couvrant un pan de mur entier. Pour l'intimité, stores et rideaux ont été bien évidemment prévus. Au sommet, une grande terrasse vient parfaire l'art de vivre en ville, et même, la composition générale. Des jardinières en escalier dessinent une topographie singulière. Les marches qu'elles forment permettent d'accéder plus haut encore et là, une nouvelle fois, d'autres plantations suivent les mêmes lignes sinueuses. Ces géométries courbes permettent de créer un épannelage, de s'accrocher à l'immeuble voisin, plus haut, et de redescendre en douceur vers l'autre, mitoyen, désormais légèrement plus bas. In fine, cette extension ne cherche que la plus parfaite intégration. C'était une question « contextuelle », aux yeux des architectes. Disons, au moins, de douce harmonie.