Rédigé par Jean-Philippe Hugron | Publié le 02/04/2021
S'il y a une « France moche », celle des entrées de villes avec hangars, zones commerciales et panneaux publicitaires, il y a également une « Espagne moche », celle des stations balnéaires et des urbanizaciones , autrement dit, celle des lotissements pour estivants. La répétition du même y est la règle ; des maisons sur catalogue y sont reproduites à l'infini. Bien des villages de pêcheurs ont ainsi perdu leur âme sous les pelleteuses d'avides promoteurs. Le désir d'habiter, le temps d'une saison joyeuse, les rivages ensoleillés de la Belle Bleue, n'est toutefois possible qu'après un sacrifice économique. Une résidence secondaire représente un coût. Aussi, les maisons proposées ont bien souvent l'allure d'habitat minimum : une porte, deux fenêtres, un jardinet ; la vie est ailleurs, sur la plage.
Le temps a depuis fait son œuvre et ces modestes constructions - érigées aux premières heures d'une politique touristique promouvant dans les années 60 Costa Brava et autre Costa Dorada - ont trouvé une légère patine. Les occupants se sont appropriés les lieux et, de l'uniforme paysage est née une nouvelle diversité architecturale. À Torre de la Horada, à quelques kilomètres d'Alicante, il n'est donc pas étonnant de découvrir cette étrange extension conçue par Laura Ortín. « Je n'avais pas d'autres ressources que les contraintes urbaines concernant la hauteur, l'occupation et les limites de propriété » , dit-elle. Ce paysage offre une liberté indéniable. « Les voisins ont construit les extensions de leur maison d'une manière spontanée et unique. En général, ils ont changé l'esthétique du premier étage ; il en résulte un éclectisme incontrôlable » . Laura Ortín développe, d'après la commande d'une famille désormais à l'étroit dans sa petite maison de plage, un exercice de style fondé sur « la désobéissance esthétique et fonctionnelle » , sur « une vision provocatrice » voire « une violation nécessaire pour mieux trahir la banalité » . L'architecte imagine alors s'émanciper des références balnéaires mais aussi d'un ordre induit par une situation urbaine. « Le volume s'éloigne volontairement de l'alignement... et de l'aliénation » , affirme-t-elle.
Cette surélévation qui abrite un nouveau salon en double hauteur, un espace nuit en mezzanine, deux chambres et deux salles d'eau se veut sculpturale. Pour autant, Laura Ortín tenait à des détails élémentaires de sorte que les coûts soient réduits. Le volume généreux, aux allures de vigie, est rendu possible par une structure métallique légère, posée à même les murs porteurs de la première maison. Pour rendre le projet plus économique encore, des matériaux « en désuétude » ont été mis en œuvre : du terrazzo pour les sols et des planches phénoliques, utilisées habituellement pour protéger les marchandises transportées en conteneurs, pour les murs et plafonds. Le tout est particulièrement chaleureux et confortable... au point, peut-être, d'en oublier d'aller à la plage !